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Rencontre avec Jérôme Dezobry, cheville ouvrière du Canal Seine- Nord

Nous poursuivons notre série d’entretiens avec les acteurs du CSN par un échange avec l’un des rouages les plus importants de cette saga du transport alternatif : Jérôme Dezobry qui figure dans l’organigramme des VNF (Voies navigables de France() juste en dessous de la direction générale (avec 3 autres techniciens).

Jérôme Dezobry : « Le CSN va irradier les territoires bien au-delà du bord à canal ! »

Lui est chargé de la mission dite de « préfiguration de la société de projet ». C’est-à-dire concrètement qu’il doit à la fois imaginer sur les plans humain et logistique la façon de tout coordonner, harmoniser, presque tout prévoir, mener l’aventure en ayant l’oeil sur tout avec tous les services des VNF, de l’Etat, les structures des Territoires (EPCI) depuis le bassin parisien jusqu’à la frontière belge, bref comment faire sur un plan purement opérationnel ? C’est lui qui a la réponse. Evidemment la charge est aussi passionnante que lourde, le voilà enquêteur, consultant, communicant, conseiller, bref comme disent avec sagesses nos amis d’outre Quiévrain (partenaires du CSN), c’est « la cheville ouvrière du grand chantier ». Issu des rangs de GDF-Suez, ce jeune ingénieur s’est attelé à la tâche depuis plus d’un an et demi avec ce qu’il appelle les qualités des gens du Nord (il est né à Douai) : du calme et de la méthode, un grand sens pratique et une constante référence à ceux qui sont sur le terrain en permanence, Picards et Chtis, que chaque projet concret soit le bienvenu et s’ajoute à un autre et ce canal se fera comme se monte un patient tricot, sans trop perdre de temps à se poser des questions superflues.

Tout est donc dans l’esprit ce qui ne nous a pas empêchés de poser quelques questions très prosaïques…

L’ordonnance du 21 avril 2016 a créé la société de Projet rassemblant les Départements du Nord, du Pas de Calais, de la Somme, de l’Oise et les Régions des Hauts de France et de l’Ile de France, sans oublier l’Etat et l’Union européenne. Cette société appelée Aussila« sociétéCSN » est présidée par le député de Maubeuge Rémi Pauvros qui a proposé une (seconde) mouture semble-t-il définitive du canal, évaluée à 4,5 millions d’euros (d’aucuns disent 4,7…) – NDLR :dans un premier temps… Bref, foin d’oiseuses considérations, revenons sur terre avec Jérôme Dezobry : « 2 conditions sont requises pour que cette société vive et agisse : 1) que soit signé le chèque du canal et 2) que le Conseil d’Etat rende son arrêt publié ensuite au JO. Pour ce dernier c’est en cours. Pour le premier c’est fait depuis quelques mois, tout a été finalisé entre les territoires cités plus haut après que l’UE ait abondé à hauteur de 42% du total soit 1,8 milliard d’euros. » Pour mémoire revenons une minute sur cette phase qui a donné des sueurs froides à bien des élus et autres acteurs du CSN: le 1er décembre 2016, soit quasiment à l’ultime seconde fatidique du délai légal, la Région des Hauts de France prenait à sa charge 100 millions d’euros que la Région Ile de France refusait de voter car pour elle le CSN est assez secondaire par rapport à un plan« chemin de fer »plus urgent pour elle.Concrètement : l’Etat français verse 1 milliard €, la Région HdF 352 M€, l’Ile de France 110 M€, les Départements du Nord 200 M€, du Pas de Calais 130, de la Somme 70, de l’Oise 100. Comme tout cela se comprend HT, hors taxes, un taux d’inflation prévisionnel très pessimiste, mais c’est mieux ainsi, de 1,5% a été retenu et donc un emprunt collectif a été demandé et garanti soit 700 M€. Nota bene : même comme cela pour atteindre les 4,5 milliards d’euros, manquent à l’appel 208 M€.

Jérôme Dezobry
Jérôme Dezobry

Ajoutons aussi ainsi que l’a rappelé récemment le candidat à la présidence de la République Emmanuel Macron qui fait du CSN un objectif prioritaire de l’Etat (il est apparemment le seul à l’avoir explicitement dit semble-t-il) que la DUP de 2008 est à recommencer mais ce serait en cours. Jérôme Dezobry apporte ce commentaire pertinent : « La Déclaration d’Utilité Publique pour une période de 6 ans est en fait valable 10 ans, donc, on est dans les délais jusque 2018. En fait comme le projet de canal a été pour partie reconfiguré, il faut une nouvelle DUP. Ce n’est pas un problème, cette reconfiguration du canal du côté de Marquion engendre d’ailleurs pas mal de conséquences que le grand public ignore…A nous de tout expliquer notamment via notre outil de communication phare, le site Internet csn.fr. Cette DUP est une questions de quelques mois pas plus.»

« Le CSN ne démarre pas, il se poursuit… »

Tout est ensuite une question de termes et de connaissance du dossier. Pour le grand public dont pas mal d’entrepreneurs et autres acteurs économiques, il ne se passe rien ! Réponse amusée de Jérôme Dezobry :  » Si, il s’est passé plein de choses, certaines vont continuer, d’autres seront modifiées comme le tracé à partir de Marquion vers Péronne. Le projet CSN a été réorganisé sur le modèle des Grand Projets Européens (GPE) lui-même décliné en 3 sous-projets : d’abord l’aspect environnemental qui a commencé à Bienville dans l’Oise et sur sa voisine Compiègne dont l’environnement fortement boisé commande une telle démarche, puis le second sous projet consiste à passer très concrètement à l’action, ce sera pour 2018-2019, et enfin le dernier sous projet consistera à créer la démarche dite de Grand Chantier avec chaque préfet de Région qui pilotera les opérations. Et clair on va préparer les territoires à l’arrivée du chantier. »

Quel est là-dedans le rôle exact des VNF ?

« Nous VNF, nous définissons les besoins de toutes sortes et nos interlocuteurs nous écoutent, enregistrent et agissent. Per exemple au chapitre des emplois créés ou mobilisés sur les différentes phases du chantier, avec Pôle Emploi nous recensons les styles de métiers qui seront nécessaires, les compétences professionnelles etc, Pôle Emploi regarde ensuite dans ses données et fournit la main d’oeuvre. »

Justement au sujet de l’emploi surgit une question clé: la plupart des hommes politiques avancent dans leurs discours des créations d’emplois, des chiffres sans jamais citer leurs sources, ni s’il s’agit d’emplois durables ou passagers, bref, c’est le flou le plus total pour ne pas dire irritant. Qu’en est-il ?

« Nous publions sur notre site Internet dédié les chiffres les plus récents. En emplois directs, ce sera entre 3 et 6 000. En indirects, on est à 10 000. Précisions que la base de calcul communément admise est 3 emplois indirects créés pour un emploi direct. Donc on est dans les clous. Ces emplois sont périphériques, ce peut être une friterie à côté d’un chantier ou d’autres services, n’oublions pas qu’un chantier est avant tout un rassemblement d’hommes et de femmes qui peuvent avoir des besoins annexes. Enfin sur l’ensemble du périmètre du canal, après chantier donc vers 2023, on a estimé que le nombre d’emplois générés sera de 25 à 50 000. Et là on pense bien entendu aux lieux de vie et de travail que seront les plate-formes multimodales. Mais contrairement à ce que beaucoup pensent, l’activité, les emplois créés et toutes sortes de retombées se feront sentir bien plus loin que le canal, dans l’Interland maritime ou dans les campagnes de l’intérieur. Tout le monde sera arrosé d’une manière ou d’une autre. »

Le second grand projet est lié aux fouilles archéologiques, sujet qui fait frémir quelques observateurs qui n’oublient pas que la loi de 1977 permet d’aller jusqu’à 3 ans de fouilles et donc de gel du chantier en cas de découvertes importantes. Qu’en dire actuellement ?

« L’essentiel a déjà été fait ! Je sais, on aurait du communiquer là-dessus aussi. Sauf deux types de fouilles: d’abord celles qui seront faites dès maintenant sur le nouveau tracé, c’est compréhensible; puis les fouilles qui n’ont pas eu le temps d’être faites lors de la première mouture du CSN, portant sur les zones humides et boisées. Nous avons rencontré nos amis des Chambres d’Agriculture, on va faire ces fouilles, la loi sera respectée mais après récoltes bien entendu. Là aussi les choses ne se déroulent pas comme on le prétend. Par exemple quand nous devons abattre des arbres, nous commençons par en replanter ailleurs, pareil pour le reste. Encore une fois, notre site Internet va détailler tout ça progressivement« .

Tout cela suppose une collaboration étroite avec la SAFER (2). Comment ça se passe ?

« La SAFER joue un rôle clé là-dedans puisqu’elle met à disposition du CSN des terres ex-agricoles tout en dédommageant les cultivateurs. Le remembrement des terres agricoles est en route, l’enquête publique de 2016 est terminée, on est en train de redessiner les parcelles accessibles près du parcours du canal. Tout cela se fait avec les Conseils départementaux, les intercommunalités en général, participent au titre des contrats territoriaux avec 3 objectifs: 1) phase d’aménagement du bord à canal, les EPCI (3) ont déjà bien travaillé sur ce sujet qui est un point capital pour la réussite du CSN. Puis 2) étudier le développement économique pérenne des entreprises des plateformes. Enfin 3) fin 2018-19, nouvelle étude portant sur comment intégrer le chantier aux territoires traversés ?

Tout cela sera signé très bientôt. Le rôle des EPCI est extrêmement important, on peut même dire qu’il est au coeur de notre méthode en raison de l’aspect proximité et de la faisabilité concrète adaptée à chaque territoire. Nous avons créé 3 comités territoriaux: Arras-Cambrai, Péronne et Compiègne avec chaque sous-préfet. Y collaboreront l’Union Européenne et la Commission en personne !  »

Qui fait quoi sur ces 107 kilomètres du CSN ?

« La société de projet qui regroupe toutes les collectivités, l’Etat, l’Europe et les VNF qui sont maître d’ouvrage du canal, construit. Mais les plateformes, ou disons plus largement tout ce qui se fera au sol au bord à canal est du ressort des différentes structures publiques (ou entités privées) limitrophes. Nous avons donc ressorti des cartons des projets mais tout cel a évolué et doit être revu. »

Vous abordez-là un point essentiel : le CSN a fait historiquement l’objet de plusieurs études et débuts de mise en oeuvre parfois, il y a eu énormément de faux-départs et de déception, plus près de nous il y a eu le projet activé par l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy qui n’a pas abouti suite à l’échec de la formule du PPP, puis nous sommes lors de ce quinquennat dans une seconde dynamique qui, elle, semble crédible et enfin active, que conservez -vous du passé, qu’allez-vous changer et apporter de neuf ?

 » La question est immense. Je répondrai sur le plan disons technique, au sujet des chantiers eux-mêmes. Tout grand chantier de cette taille apporte des innovations puisque le monde du BTP lui-même évolue très vite depuis 20 ans. Mais, il est encore trop tôt pour dire quelles seront les innovations, nous sommes en train de recenser les nouveautés techniques et examiner si telle ou telle peut solutionner nos problèmes. On va prendre une maîtrise d’oeuvre et signer entre 2017 et 2018 les marchés. Nous avons défini 4 secteurs d’intervention, nous sommes en train de commencer par l’Oise puis on va remonter vers la Belgique. »

Pouvez-vous faire état à ce jour d’études et d’un prévisionnel (prudent bien sûr) sur les futurs flux de marchandises qui mobiliseront le canal rénové et ses plateformes ?

« Oui il y a eu plusieurs études (4) de trafic. Elles portaient à l’époque sur les céréales, les engrais et les gravats, le vrac etc, bref il s’agit-là de matériaux traditionnellement transportés par la voie d’eau. La plus grande prudence s’impose dans les commentaires et l’exploitation de ces signaux d’activité. Car comme nos amis entrepreneurs transporteurs et logisticiens, nous constatons que ces études sont mises à mal par l’extrême complexité et rapidité de l’économie contemporaine.Rien n’est stable véritablement. Dans nos études, on n’avait pas prévu l’arrivée des gaz de schistes, ni le dumping social de la route. Questionnées, elles aussi par ces évolutions brusques et profondes, les interco ont elles-aussi rencontré et questionné les entrepreneurs. Résultat mitigé…Les patrons n’ont qu’une faible visibilité des marchés, il y a notamment dans le BTP des flux qu’on ne voit pas, on ne transporte plus de la même façon qu’avant ni les mêmes poids, c’est de plus en plus léger par la route donc ça peut être une bonne chose pour le CSN. D’un autre côté, il y a les questions essentielles auxquelles le CSN devra répondre au risque de ne pas convaincre et d’exister pour rien ou presque: les délais de transport, les tarifs, comment en préserver la compétitivité des entreprises etc ? Pour l’instant, nous constatons que ça se passe plutôt bien là où ça bouge. Il y a en Picardie plein de projets de plateformes très concrets pour une augmentation des lux en céréales et engrais. A Péronne, nous voyons que des friches de 25 ha et du foncier libre se dégagent avec l’aide des EPCI locales. A Saint-Saulve, plateforme choyée par Toyota mais pas seulement, les résultats sont déjà du double des premières prévisions. Je pense que pour provoquer les afflux, il suffit de commencer très concrètement et de se faire connaître. L’une des questions majeures sera aussi de repenser le chargement des containeurs. On peut dégager des flux complémentaires quand sur une péniche de 40 containeurs déjà chargés, on dégage de la place pour d’autres chargeurs, et calculer comment on bâtit des offres concurrentielles nouvelles. »

En conclusion ?

« Quand on parle « canal Seine nord », il faut songer aux effets réseaux sur les territoires surtout quand la SNCF prêtera massivement main forte aux plateformes. Il faut bien comprendre qu’il y aura les activités canal, puis les autres plus à l’intérieur, ça fait deux occasions de créer de l’activité, de l’emploi et de la richesse. Ensuite comprendre qu’il y aura une phase de début puis avec le temps que le canal trouvera son rythme et que son offre collera à la demande de l’entreprise et des marchés, et s’étoffera grâce à l’international qui nous attend et veut travailler avec nous. Donc, n’allons pas trop vite en déductions ou jugements, faisons, agissons là où nous le pouvons sachant que ce sont aussi les grands choix politiques de demain qui seront déterminants. »

(1) CSN: canal Seine nord (Europe) ou « liaison Seine-Escaut/// voir: www.canal-seine-nord-europe.fr

(2) La SAFER est activement dans le dispositif depuis au moins 2006. Malgré plusieurs demandes d’interview aucun responsable de la SAFER n’a encore répondu à notre attente.

(3) EPCI: Etablissement public de coopération intercommunale (communautés de communes, d’agglomérations, syndicats mixtes)

(4) Un peu avant 2006, le cabinet Duhaut avait effectué pas mal de simulations notamment sur des flux venant de l’Europe du sud.

Patrick Urbain/CSN N°4/prochain sujet le mardi 02 mai

 

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