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Pays de Condé

Les Turbulentes, Les lumières de la ville

Presque trois jours hors du temps. Trois jours de joie, de sourires, de rêve d’un monde meilleur. Trois jours à être tout simplement heureux d’être ensemble. Trois jours de gourmandise culturelle, artistique et humaine, de curiosité, de liberté, d’espoir. Trois jours d’enchantement. Le monde s’est arrêté de tourner durant une poignée d’heures. Voici les coups de cœur de la rédac. et mention spéciale à La Chaplinette Claire Ducreux et son instant Silensis, un OVNI de bienveillance, un sujet d’actualité avec We meet in Paradise de la Cie allemande du Théâtre Fragile, et un joli coup de théâtre pour les mômes avec Germinal revisité version Les batteurs de pavés.

« L’exception culturelle Française » au Boulon.

Plus que jamais cette 19ème édition des Turbulentes fût empreinte d’un souffle poétique. Une pause « arts de la rue »,  théâtre, cirque, performances, du léger et du plus engagé… Quand la société a du mal à parler d’un sujet, la culture, écrivains, poètes, artistes, peintres, l’abordent avec sensibilité et justesse. Une pléiade de troupes et de compagnies ont investi Vieux-Condé. Organisée par la communauté du Boulon, entre les deux tours, sur cette terre où la culture est offerte, tel un cadeau à chaque coin de rue. Où un nid culturel, dans lequel règnent les arts, s’offre à tous, et est accessible à tous sans exception, mais où le vote du Front National dépasse les 41% au premier tour. Ici plus de 30 000 personnes ont foulé ce territoire, tout simplement en étant heureux d’être ensemble, avec leurs ressemblances et leurs différences, en s’enrichissant humainement les uns des autres. Moi, je crois en la culture, je crois en l’art, je sais les émotions, les sentiments que ceux ci font naître, les réflexions, les voyages, les pensées, les rencontres, les idées, la tolérance, l’amour… j’y crois, peut être naïvement, et ce week -end au Boulon, j’y ai cru. Je suis certaine que l’on était des milliers à y croire… « la planète a désespérément besoin de plus de faiseurs de paix, de guérisseurs, de conteurs d’histoires, et de passionnés de toutes sortes. »

Claire Ducreux, le coup de cœur. Silensis, une pépite d’amour. L’hommage à la vie d’un arbre qui tremble et d’une âme qui danse.

Un arbre murmure : « Arrête-toi parce qu’il est urgent de vivre. Prends le temps de voir à nouveau, de redécouvrir ce qu’à force de connaître tu ne connais plus, le temps d’écouter le silence et les pensées se mêler, de voir danser l’immobile, de se sentir à nouveau infiniment vivant. ». Une explosion, une pluie de cendres, c’est parti, embarquée pour un voyage sensible.

Prenez une pincée de Chaplin, saupoudrez de tendresse et vous obtiendrez un petit bout de femme, Claire Ducreux. De grands yeux expressifs où se mélangent bienveillance, douceur et mélancolie. A peine 5 secondes de spectacle, et on est comme happée avec délicatesse dans son monde onirique. Silensis est une invitation à respirer ensemble au rythme lent et profond de la vie et voir ce qu il se passe…un solo de danse, où grâce et sourire vont de paire. Espoir. Tendresse. Sourires. Bienveillance. Armée d’une rose rouge, elle tend la main à quelques enfants et adultes, que tour à tour, elle invite à planter une rose sur l’arbre où à partager un moment d’improvisation drôle et tendre avec elle. Et ça marche.

Claire Ducreux danse autour d’un arbre, non, elle danse avec l’arbre. Elle danse la vie. Elle fait corps avec l’arbre, la main effleure, caresse, elle joue avec, se cache presque derrière, grimpe sur lui, se pose, s’allonge sur ses branches, pour finir sous une pluie de pétales de roses, adossée au tronc, sourire aux lèvres. Ici c’est le cœur qui parle. Les mots sont superflus. Seuls sont importants, les regards et les sourires. Une pensée pour la magnifique dernière scène des Lumières de la ville de Charlie Chaplin, et cette petite fleur au cœur de ce chef d’œuvre, forcément « vous voyez clair maintenant ? » Très joli. Un hymne à la vie, un hymne à la gentillesse, un hymne à la paix, un hymne au bonheur. Une thérapie. Une bulle de douceur et de poésie remplie d’amour, mais que ça fait du bien!

(diaporama)

2e coup de cœur de la rédac, We meet in paradise, de la Cie Théâtre Fragile, un poème de rue sur la fuite et l’exil. « Quand j’ai décidé de partir c’était un dimanche. » Un spectacle qui s’appuie sur la collecte de témoignages et la présence sur scène, de demandeurs d’asile de la ville de Louvroil.

Sous le préau Caby, balayé par les vents, et bondé de monde, assis, debout, emmitouflé sous des couvertures.  Des étranges malles glissent sur scène, tels des navires, des embarcations de fortune sur l’eau. Des voix dans le silence. Des voix qui vibrent dans la ville. « Appartenance ethnique. Gouvernement en place. Ce que je vis dans mon pays. Je ne peux pas rentrer. On ne se rend pas compte à quel point c’est difficile. Quand j’ai décidé de partir c’était un dimanche… » Fuite. Exil. Des silhouettes à la bouche close, des têtes masquées apparaissent timidement. Dépourvus de nez et de bouche, les masques évoquent l’étouffement et le silence de ceux à qui l’on accorde même plus le droit à la parole. Elles regardent. « Maliens, Ivoiriens, Sénégalais… Les planchent flottaient et ont commencé à se casser. » Ils écopent l’eau à l’aide de seaux. Peur. « Les enfants pleuraient. Les gens criaient. Tout le monde pensait mourir. On ne comptait plus sortir de là. J’ai même regretté, tu ne vois rien, tout sauf l’eau. J’ai pleuré… » Enfin ils s’extirpent des malles. Apeurés. Épuisés. Leurs yeux se posent sur le public et soudain un sentiment s’installe. Les masques offrent certes l’universalité, ils intriguent, ils bouleversent, ils questionnent, mais offrent aussi un jeu de miroir. Qui observe qui ? Qui aide qui ? Qui tend la main à qui ? Qui a besoin d’aide ? Soudain les chiens aboient, du bruit, beaucoup de bruit. Et ils retournent se cacher dans la malle noire. Solitude. « Avec la bâche dessus, on ne savait même plus respirer. Transportés comme des marchandises. Vous êtes tous arrêtés. On vient vous frapper. » Déracinement. Puis ça se calme, trois petites têtes percent. Les yeux accrochés au public. Si grands. Si remplis de questions. Si…Elles regardent le public l’air interrogateur. « Pas facile d’oublier la souffrance. Trop trop trop de souffrance. Tu ne peux plus te retourner maintenant. » Les enfants jouent, chantent, sur la bande son. « Mon fils me manque, il a 8 ans. Quand j’ai passé la frontière, j’ai prié. » Il y a toujours eu de l’immigration. Les Français aussi, il y a quelques années, il ne faut pas l’oublier. Rêve de nouvelle vie. « Je suis entré en France le 9 novembre 2016. C’est la France que j’aime. Une fois arrivé, j’ai demandé la protection. » C’est faire le deuil de son pays, quand on est demandeur d’asile, on sait que l’on ne rentrera jamais dans son pays. Il y a quelque chose qui meurt en soi. « Je ne dors plus. Je n’ai plus de forces . Mais j’ai toujours de l’espoir. Nous sommes des humains, il ne faut pas avoir peur. Cette solidarité française on ne peut pas l’enlever. Moi je me sens fier ici. Je veux aider. Liberté, égalité, fraternité, c’est quand même quelque chose cette fraternité ! Ce n’est ni moi, ni toi, c’est nous. » Puis le jeu des malles reprend. A l’intérieur des petites boutiques qu’ils installent, dont une échoppe de soupe de légumes. Alors les silhouettes masquées tendent la main au public. Naturellement. Une par une, dans leurs mains, un bol de soupe, puis d’autres bols de soupe, ils offrent ce samedi soir juste avant la nuit sous un préau balayé par le vent, un peu de réconfort et de temps aux spectateurs qui traversent alors la frontière entre le public et la scène. Partage. Bienveillance. Intégration. C’est rassurant. C’est beau. C’est fraternel. « L’amour est un sentiment du cœur »

(diaporama)

3e coup de cœur. Germinal de la Cie Les batteurs de pavés. Si tu ne vas pas au théâtre, le théâtre viendra à toi.

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Joli coup. Les batteurs de pavés ont fait battre le cœur des mômes. Adaptation du chef d’œuvre d’Emile Zola, Germinal met en scène la lutte des classes, au gré d’un spectacle interactif où les enfants jouent presque tous les rôles. Où comment faire aimer les classiques et la littérature aux bambins en 45 minutes. Un vrai plaisir. Un classique ? « oui j’étais mauvais élève alors je sais ce qu’il y a d’ennuyant à lire. », sourit Manu, un des deux artistes de la Cie qui arrive tout droit  de La Chaux de Fonds en Suisse.

Au fur et à mesure de la pièce, les enfants dans le public intègrent la scène, et ils s’approprient leur rôle avec une vitesse et une facilité impressionnantes. Surprise ils se prennent au jeu du classique. Même lever le doigt lorsque les Suisses cherchent un enfant pour le rôle. La claque. Ah si Germinal pouvait être enseigné comme cela sur les bancs de l’école ! Participation, plaisir, compréhension, envie…Manu et Laurent, les batteurs de pavés font des photos avec les enfants après le show. Nous avons cueilli leurs impressions juste après le succès du spectacle.

Des enfants pris au hasard  dans le public ? « oui ! Vous savez il faut juste leur dire et le faire comprendre qu’on leur fait confiance et ça marche ! Nous mettons en valeur les propositions qu’ils nous font. Nous on colmate, eux ils jouent. »

Dix-sept ans que la compagnie mène ce type de projet. Alors comment ça marche ? « On résume bien sûr et on garde les actions, parfois les gamins sur scène, on ne maîtrise pas, c’est beau, c’est drôle… ». Hamlet, Cyrano de Bergerac, Le Cid, les vieux contes, vous revisitez les classiques ? « oh oui la beauté du classique, c’est magnifique. Les gens estiment ne pas pouvoir rentrer dans un théâtre, alors nous, on leur amène le théâtre et les classiques dans la rue… ».

Manu et Laurent juste avant de repartir pour de nouvelles aventures glissent qu’ici «  c’est l’exception culturelle Française. Il faut la préserver. » Ça y est, les Turbulentes 19e c’est terminé, le temps va reprendre son cours…Alors turbulez s’il- vous-plaît. Turbulez où vous voulez, mais turbulez ensemble. Turbulez encore et encore, et faites que cela ne s’arrête jamais…

 

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