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Canal Seine Nord, entretien avec Sébastien Lehu, FL Multimodal Valenciennes

Voici le 3 ème volet de notre enquête sur l’attractivité du canal Seine-Nord entre Escaut et Tournaisis. Nous avons rencontré un jeune créateur-chef d’entreprise (FL Multimodal).

Sébastien Lehu, créateur de FL Multimodal Valenciennes : « Je ne suis pas certain qu’en 2023 le Canal Seine-Nord ait trouvé son marché ! »

Il s’est installé aux premières loges du futur canal, sur le site Valencanal. Espérons que le nom de la rive avec parkings ne porte pas malheur au CSN, puisqu’elle se dénomme Chemin du Noir Mouton. Bref c’est là juste en face de la Serre Numérique et autres équipements en cours de construction dans un quartier qui se transforme chaque jour, que FLM œuvre dans le bon créneau, la logistique, proposant comme l’explique plus loin M.Lehu plusieurs alternatives de transport à l’industriel hésitant entre différents modes : route, fer ou eau, ou les trois. Laissons lui la parole, lui qui est en fait assez partagé, dubitatif dit-il, sur l’opportunité de ce canal.

Sébastien Lehu, comment apparaît FL Multimodal dans le paysage de la logistique valenciennoise ?

S.L : Avant de créer ma société il y a 4 ans, j’ai suivi des études supérieures tournant autour de la Finance mais j’ai eu ensuite la chance de multiplier les postes directionnels dans diverses sociétés me donnant les outils pour devenir moi-même non plus un simple rouage d’entreprise, mais mon propre patron dans mon entreprise bien à moi. Je suis passé par la gestion et la responsabilité de projets, le management d’équipes etc , bref j’ai appris les métiers qu’il faut rassembler pour créer sa société le jour venu. Précisons tout de suite que j’ai connu un autre bonheur, c’est que les entreprises où je suis passé pendant 8 ans étaient déjà dans la logistique. Ca m’aide tous les jours puisque je travaille avec des industriels, chargeurs etc, que je fréquentais à l’époque mais avec une autre casquette qu’aujourd’hui. Bref il faut bien se décider, quand en 2013 je me jette à l’eau, c’est avec l’appui du transporteur Transport et Logistique Froidfond, un solide groupe de 200 moteurs et 90 000 m2 d’entrepôts.

Qu’est-ce que l’alliance avec ce transporteur vous a apporté initialement ?

Sebastien Lehu
Sebastien Lehu

S.L : Assurer la complémentarité des métiers de la logistique et du transport, c’est d’ailleurs une règle d’or dans nos professions. On ne voulait pas se concurrencer, donc on s’est allié dans un but commun : apporter aux autres des solutions et bien sûr, nous-mêmes, occuper sur le marché de demain une place de choix. A l’époque on en était encore aux prémices des péages pour les camions, perspective peu réjouissante pour la profession si bien que les chargeurs cherchaient des alternative à la route. On était donc dans un marché naissant, il y avait pour nous deux des places à prendre. Mais il fallait faire ce que les autres ne faisaient pas encore, et le faire le plus vite possible pour prendre de la distance avec l’inévitable concurrence qui allait se réveiller , concurrence étrangère et européenne et pour tout dire menaçante car n’ayant pas les mêmes charges que nous. Nous avons donc réfléchi à la niche que nous allions créer.

FL Multimodal devait faire vite dites-vous, mais avez-vous déjà pu prendre cette longueur d’avance ?

S.L : Rien n’est acquit pour l’instant surtout que le canal va enfin démarrer. Il y a un marché avant le canal, pendant sa construction, puis il y aura d’autres marchés au moment où la société de gestion devra ouvrir les vannes aux transporteurs et logisticiens. Ma société est une PME de 5 personnes, moi compris au chiffre d’affaire de 2,6 M€ mais d’ores et déjà la barre prévisionnelle est à 3,5 M€. C’est réaliste car nous proposons au chargeur une feuille de route extrêmement bien étudiée. Je m’explique : la seule façon de distancer la concurrence est de proposer une ou plusieurs valeurs ajoutées, en clair apporter ce que les autres ne proposent pas et pour un prix compétitif . Cette question se posera pour tous les chargeurs qui graviteront autour du CSN (1) : est-ce que j’utilise le bon mode de transport bien adapté à mes besoins et mes finances ? Notre société doit répondre à cela. Alors avant de délivrer un conseil définitif, nous devons d’abord connaître à fond notre industriel et son entreprise. C’est une série d’audits portant sur absolument tous les aspects de la l’activité pas seulement le process ou la logistique pure, il faut aussi que nous soyons capables d’ausculter les marchés et leurs variations. C’est soit dit entre parenthèses ce que les pilotes du CSN devront faire chaque jour sinon leur offre tombera à l’eau et les transporteurs iront vers le fer ou le macadam…Ca vous donne une idée de l’immensité de leur tâche.

Et est-ce que ça marche aujourd’hui une telle procédure aussi minutieuse et lourde qui débouche sur un conseil final ?

flv380S.L : Dans l’état du marché actuel , oui. C’est d’ailleurs ce qui m’a plu, cette sophistication, cette complexité de notre démarche. Personnaliser nos diagnostics, les faire coller à la personnalité de chaque transporteur, prend énormément de temps mais c’est la seule solution pour limiter au maximum les risques de passer à côté de son marché. D’autant que tout cela est en permanente évolution avec une lisibilité et une probabilité des marchés dans le temps qui est quasi nulle tant tout cela est volatile. Un exemple : je me rappelle qu’on était au moment du grand boum de la taxe carbone, des élus me disaient qu’ils envisageaient de taxer chaque tonne transportée de 4 ou 5 euros, je leur ai fait remarquer que le transporteur pouvait alors dire adieu à tous les efforts de rentabilité préparés depuis des années en un seul coup ! Est-ce que le CSN, piloté par des élus des 6 collectivités territoriales concernées ont des projets de taxation des flux ? J’espère que non !

Vous le voyez il existe beaucoup d’aléas possibles rendant la vision du futur particulièrement ardue et risquée. Donc nos analyses de la situation du client et ses espoirs doit être très fine et capable d’être revue en fonction d’évènements extérieurs. Notre gros avantage est aussi d’être l’un des rares à être vraiment trimodal. On offre tous les modes.

Mais sur quel marché vous placez vous exactement ?

S.L : Directement européen et donc mondial ! Ce qui ne facilite rien. Dès le début FLMultimodal a dû atteindre cette dimension. Le CSN est prévu pour puisqu’il est aussi une ouverture vers les flux de l’Europe du Sud et un hub vers l’Est et le Nord du continent. Et comme les 3⁄4 des marchandises transportées et stockées viennent d’Asie, nous sommes à la taille du globe mondialisé. Mais aussi fragilisés par cette mondialisation et ses soubresauts, monétaires par exemple. C’est une chaîne la logistique et chaque maillon la constitue. Le Valenciennois est un de ces maillons. Si un maillon casse, la chaîne s’effondre tout de suite. Aujourd’hui, alors que le CSN se remet en route mais ne verra pas l’activité démarrer avant 2023 si tout va bien, notre marché actuel, le plus immédiat qui fonctionne, est à un rayon de 300 km, disons la grande Eurorégion…Ou plus lointain mais ayant déjà des ramification ici en Valenciennois ce qui est d’ailleurs la situation la plus fréquente. On a surtout du fret classique : gravats, vrac, grain, déchets de métaux, du recyclage, des produits de carrières et de la sidérurgie. Pas d’automobile pour l’instant, on verra avec les containeurs et les barges à grand gabarit…

Géographiquement, est-ce qu’on peut penser que tous ces flux seront sur le seul CSN dès 2023 ?

S.L : Toute la question est là ! En 2017, on observe l’existence d’autres réseaux, fluviaux notamment, très opérationnels et rentables. Un axe dynamique Dunkerque-Rouen-Rotterdam, un autre puissant Rhône- Seine-Rhin. Et puis l’axe Paris-Nord Europe qui nous intéresse aujourd’hui. La Région Ile de France a des projets fer vers son Ouest, le CSN ne la concerne pas prioritairement. Ce qui veut dire que le CSN devra être plus attractif que ces réseaux-là ou alors particulièrement complémentaire. Par exemple Toyota organise ses flux via la route et le fer, très peu par les péniches. Je ne suis pas certain que les études qui ont été faites, notamment autour de Marquion et de l’écluse No2, soient réalistes. Elles prétendent qu’il y faut absolument le chemin de fer pour que le reste fonctionne. Je n’en suis pas sûr. D’autant que les volumes baissent constamment en raison de la crise qui ne s’estompe pas du tout. La SNCF n’a pas pour politique aujourd’hui d’accompagner systématiquement le bord à canal sur le CSN. Elle a d’autres objectifs bien à elle qui concernent la dynamisation du transport routier, ainsi sur l’axe Lille-Marseille directement.

Que faire alors dans cette situation où le marché est éclaté ?

S.L : Il faut proposer, ce que FL Multimodal fait, une capacité à susciter et déceler des innovations possibles chez le transporteur-logisticien. Ca porte sur les flux, les organisations des flux, la communication et surtout fournir une solution à tous les types de problèmes secondaires. Nous sommes trimodal, c’est un « plus » car il propose au logisticien plusieurs solutions adaptées à ses spécificités, mais nous sommes aussi pour l’entrepreneur un guichet unique qui lui simplifie la vie. Tout ça passe par une pédagogie musclée car l’entrepreneur est rarement au courant des enjeux de la logistique de demain. Concernant les modes de transport on note que la route est très banalisée et que le couple fer-eau est très contraint, peu souple. Cette rigidité nous devons l’atténuer et de son côté le client doit s’adapter à des contraintes qui, elles, ne peuvent pas être levées. Parfois, il faut modifier le process…Mais la facilité reste le camion. Donc à moi Sébastien Lehu de tendre d’autres perches que le camion à un moment M, par exemple par des transferts complémentaires de modes de transport. Mais pour ce mode multimodal, il faut une organisation absolument parfaite.

Finalement, quels atouts présente le CSN dans ce contexte ?

S.L : D’abord sa puissance, il va gérer à lui seul beaucoup de flux, on peut le penser…Il sera neuf donc très opérationnel. Il peut tout transporter aussi et à des prix qu’on peut supposer être compétitifs sinon on ne voit pas l’intérêt vue la lenteur des déplacements. Bien sûr l’aspect écologique compte. Mais le CSN me donne l’impression de ne pas pouvoir seul assurer et maîtriser sa réussite à commencer par son décollage face aux autres concurrents. Depuis 15 ans, le temps des industriels est devenu très court. Tout se fait dans l’urgence, il faut pour s’insérer dans un tel contexte une extrè ême réactivité. Et puis quid de l’état des marchés en 2023, 24, 25 et… ? Même fébrilité des mouvements très rapide des PMI. Et puis il y a des incohérences. L’Etat projette toujours sa grande autoroute fret Paris-Nord Europe-Bénélux. La SNCF très présente sur Dunkerque et d’autres ports n’a toujours pas clairement affirmé son intérêt pour le CSN et donc son engagement. Au contraire elle a d’autres centres d’intérêt sur Paris et son Sud, Le Havre , Rouen et le Centre France. Je suis donc dubitatif sur la capacité des initiateurs et gérants du canal, à gérer et rentabiliser ces plate-formes modales le long du canal. Même si une voie d’eau importante est un réel atout, c’est le marché qui décidera et croyez-moi, en 12 ou 18 mois, période assez brève quand-même, il y a du changement….

(1) Canal Seine Nord dit aussi Canal Seine Escaut Europe.

Patrick Urbain/prochain article CSN le 03 avril

 

 

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