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Le Canal Seine Nord… le Medef Hainaut-Cambraisis y croit

Marc Krzémianovski, président du Medef Hainaut-Cambraisis : « Nos entreprises seront prêtes si le canal dévoile suffisamment vite et clairement ses atouts ! ».

Entretien avec Marc Krzémianovski, président du Medef Hainaut-Cambrésis.

« Une interview sur le canal Seine-Nord ? Je vous le dis tout de suite, j’ai vraiment pas grand chose à vous dire » avait tout de go prévenu Marc Krzémianovski. L’homme est ainsi fait qu’il dit sans détour sa pensée, habitué à ne pas perdre de temps et à aller à l’essentiel. Une carrure de 3ème ligne de rugby, le regard bleu et franc comme la poignée de main, le patron des patrons en Hainaut Cambrésis n’a pas perdu de temps avant la réunion des deux Medef Valenciennois et Medef Cambrésis voilà un an et d’en prendre la présidence à vrai dire sans réelle surprise tant sa carrière est allée vite et droit. Mais au bout du compte, il s’est quand-même un peu trompé le président… On a toujours plus de choses à dire qu’on ne le croit même sur un non-évènement puisque c’est ce que pourrait menacer de devenir ce canal ainsi qu’on le verra dans notre dossier mis en ligne demain sur notre site.

Quelques éléments biographiques sur ce grand gaillard de 61 ans qui veille sur les intérêts de 250 entreprises adhérentes au sein de son rassemblement du Medef (il récuse le terme de syndicat). C’est avant tout l’ex-dirigeant de Roland Emballage à Cambrai repris en 2012 par le groupe Uni Packaging qui en 2014 activait un grand plan de développement de 10 M€ dans la transformation d’emballages plastique. Le président est également à la tête de 7 autres entreprises. Mais il a surtout pris place dans les instances dirigeantes qui comptent et lui donnent aujourd’hui une vision globale de la situation économique du Hainaut-Cambrésis (ce qui justifiait notre interview). Depuis 33 ans, il est conseiller consulaire à Cambrai et en CCI Grand Hainaut ,vice-président au bureau avec Bruno Fontaine élu président en 2016. En CCI Région à Lille, il préside une commission très importante pour la dynamisation des capacités des entreprises, leur financement. D’ailleurs il doit annoncer d’ici juillet une nouveauté en la matière puisqu’ opportunément, il préside par ailleurs une association de Business Angels Nord-de-France dont c’est aussi le rôle, fournir les outils financiers au patron qui veut se développer. Que l’on ne s’y trompe pas, tous ces axes de travail seront utiles au cas à le Canal Seine Nord verrait enfin le jour en 2025 ou un peu après.

La question est donc de savoir, Monsieur le président, comment le Medef HC se positionne aujourd’hui sur ce chantier et ce projet ? Une organisation aussi importante et médiatique a forcément une idée de ce que cela va produire comme effets pour nos entreprises…

« La question m’embarrasse un peu, non qu’on ne me l’aie jamais posée mais nous en discutons parfois entre nous de ce canal et nous n’en avons quasiment rien à dire pour plusieurs raisons. Ce qui ne veut pas dire que nous n’y pensons pas. Je vais expliquer plus loin le distinguo. Ce canal c’est un évènement « mou » sans réels contours, flou donc, et sur tous les plans. Bien entendu son passé ne plaide pas du tout en sa faveur, oserai-je dire que les loupés continuels qui ont jalonné ses faux -départs engendrent une certaine ironie, et si ce n’était qu’en France… ? Et ça dure. Vue la façon très politique dont le montage financier s’est fait sous la baguette de Monsieur Pauvros , je crains comme beaucoup que ça traîne encore tellement longtemps que l’Europe s’impatiente, elle qui a abondé presque la moitié de la somme totale, et qu’on doive rendre l’argent. Le danger le plus grave nous semble être à nous les acteurs

économiques, que les bailleurs de fonds que sont les Départements des Hauts de France et les deux Régions HdF et Ile de France connaissent des soubresauts électoraux prochains tels que, qui sait, leurs parts de financement soient revues à la baisse ou pire encore. Nous et les élus ne sommes pas dans la même logique. Assurer la totalité du financement avec de l’argent public nous semble très dangereux. Surtout qu’on n’est pas certain que la somme initiale soit la bonne ! Ces 4,5 ou 7 milliards d’euros suffiront-ils ? Quid des surcoûts ? Qui à ce moment-là paiera ? Désolé mais que de points d’interrogation qui laissent finalement les observateurs que nous sommes plutôt muets ».

Mais concrètement, des avancées sont réelles et palpables montrant qu’on peut , peut-être enfin y croire cette fois-ci. Qu’en dites-vous malgré tout ?

Comme vous le savez je suis au contact du dossier grâce à une collaboration quasi quotidienne avec MM. Delquignies et Hotte en CCI Grand Hainaut, qui sont les deux acteurs principaux du projet pour la partie Escaut, effectivement il se passe des choses du côté de l’Oise, les travaux iraient en remontant vers nous. J’entends dire qu’une grande partie des fouilles archéologiques ont déjà commencé. Malgré la constatation des débuts de travaux du curage du tronçon de Pommereuil, je persiste à marquer ma méfiance. Un exemple : alors qu’aucune communication officielle ne nous est parvenue, il semble selon plusieurs sources que le site de Marquion ne soit plus retenu pour être une grande plate-forme multimodale dont on nous a pourtant abreuvé, et que le site de Delta 3 se voit tout à coup favorisé… Je n’en sais strictement pas plus, c’est vous dire qu’il faut ici parler de communication dont le canal s’est doté ou plutôt ne se dote pas. Comment voulez-vous vous enthousiasmer pour un projet qui ne fait parler de lui qu’en négatif ? Nos adhérents le constatent or ce sont les utilisateurs du canal demain.

Y a-t-il tout de même quelque chose qui vous réjouisse dans ce projet ?

Moi je représente 250 entreprises en Hainaut-Cambrésis. Le Medef que je préside est représentatif de la composition du Medef national : 90% des adhérents sont des PME de toutes tailles, nous rassemblons aussi des branches d’activités comme l’UIMM etc. J’entends dire que la reprise ou qu’une certaine reprise, soyons prudents, est là. Des chiffres circulent depuis plusieurs mois maintenant , dans le BTP par exemple le nombre de cadres est en train de grimper, des chantiers sommeillants reprennent, et l’emploi intérimaire ou autre, aussi . C’est tout simplement ce que le Medef a toujours demandé ! Ce canal va sans doute passer à la phase concrète qui verront les gros du BTP et des milliers de sous-traitants s’agglutiner sur son parcours : que d’effets positifs en direct et surtout en indirect ! C’est un bonheur, ça ! Et dans tous les domaines d’activités. Oui ,ces grands travaux seront une locomotive.?Mais je ne le dis ni trop fort ni trop souvent…Psychologiquement, c’est très bon, l’économie a besoin d’envie et d’un certain optimisme. Nous au Medef nous sommes d’abord des chefs d’entreprises locales. Local, c’est le maître-mot, que nos territoires en bénéficient enfin. D’autant que la situation n’est pas si mauvaise que ça chez nous, ça stagne un peu, pour repartir on attend de trouver des jeunes qui répondent aux offres d’emploi et on doit absolument résoudre les problèmes de trésorerie des entreprises. Donc ce canal, on l’attend, à la limite on le souhaite…

Mais à force d’être pessimiste ou dubitatif, donc d’être d’une certaine façon passif, l’entrepreneur de notre territoire est-il prêt à utiliser le canal ou doit-il s’y préparer ces prochaines années en attendant 2025 ?

Ce canal il est dans les têtes depuis des générations et des générations dans notre coin, ce n’est pas Paris qui a inventé la poudre ni le canal, la demande est venue de chez nous. En 1810 à Cambrai on a joint le canal de Saint-Quentin à celui de l’Escaut. Il a été saturé très vite. Donc il fallait encore autre chose pour aller au devant des besoins des flux de péniches et de leurs marchandises. On a donc imaginé, hélas sans résultats alors, qu’il faudrait une très grande voie fluviale, on dirait aujourd’hui une autoroute d’eau, et surtout beaucoup de connexions. Le 5 avril dernier à Noyon, l’ex-président Hollande a inauguré le canal. C’est un autre signe…Il y en a eu des inaugurations du temps de Nicolas Sarkozy aussi. L’entrepreneur, lui, il voit, il entend, il lit, il pense, il échange avec ses pairs, mais surtout il attend ! Quoi ? Hé bien une communication sérieuse, rapide et concrète et surtout fiable. Alors il pourra faire des choix. Que le site Internet du canal devienne le guichet unique, on le souhaite pour l’investisseur, étranger surtout. Ce n’est pas encore le cas. L’entrepreneur s’est donc retourné vers d’autres soucis au quotidien, las des promesses non tenues du canal et des politiques. 2025, c’est trop loin vu la rapidité des marchés et leurs variations brutales, ce canal s’est fait oublier de nos préoccupations. On en parle très peu car on n’a ni chiffres, ni tarifs, ni dates sures, ni lieux d’activité opérationnels assurés , pour se dire : tiens, ça pourrait être intéressant pour transporter mes marchandises.

Et l’adaptabilité ?

Je réponds donc à la seconde partie de votre question maintenant : nos entrepreneurs ne mettront pas 107 ans pour se décider pour le canal ou non. Dès que des chiffres circuleront, que des échanges de vécu auront lieux entre entrepreneurs, les choses iront vite d’autant que pas mal de sociétés de conseil préparant l’entrepreneur à se tourner vers la voie d’eau, sont là. Il faut des informations sur les temps de parcours de tel endroit à tel quai etc. Après ce sont des comparaisons à faire : examiner la concurrence du chemin de fer ou encore et toujours de la route, la demande et ses exigences de promptitude, les assurances à intégrer, les temps de stockage à Anvers ou ailleurs, la nature des choses à transporter par eau et peut-être le reste par route. Le critère de la rentabilité restera au top quoiqu’il arrive. Et puis d’ici 2025, comment seront les marchés, que se sera-t-il passé en France sur le plan politique et économique ?

Une chose est certaine, nos entreprises diront vite si la voie d’eau les intéresse ou pas sachant que le canal lui aussi évoluera et deviendra séduisant ou pas. C’est ce que les politiques ne comprennent pas bien ou ont du mal à admettre, la lisibilité des marchés est presque nulle sans dans des niches admirables…Le canal lui-même devra aller eu devant de son marché et il a intérêt à ne pas traîner . Pour l’instant il n’en a pas !

La multiplication des plate-formes multimodales devrait rassurer l’entrepreneur et l’inciter à tenter la voie d’eau même au début d’une façon prudente, juste pour voir… ?

On peut imaginer plein de choses effectivement. Dans un premier temps, on sait que les céréales et les matériaux du BTP seront majoritaires dans les péniches de gros tonnage. Nous avons sur l’Escaut 5 plate formes publiques, on ne connaît pas les projets privés. Là aussi les politiques ne répondent pas à une série de questions pratiques qui devraient être claires depuis longtemps pour que l’entrepreneur se détermine. Dans notre région, il s’agit de l’avenir de la BA 103 d’Epinoy. Imaginons que cet immense espace colle au projet de canal, ça changerait tout pour nous. Combien de temps faut-il encore attendre pour savoir ? Voilà le genre de butoir qui nous empêche d’avancer. Pas mal de politiques, locaux surtout, veulent rencontrer le monde de l’économie et lui poser des questions. Mais comment répondre dans ces conditions ?

Le Medef HC a-t-il des entrevues, des colloques, des échanges avec l’étranger ou d’autres interlocuteurs pour tenter d’en savoir plus sur ce canal ?

Globalement non. Nous nous adossons à plein d’autres structures comme nos CCI ou la Région qui sont plus à même de rencontrer le monde politique. Il est clair que plus le temps va passer, plus il va falloir se voir avec eux. Car il faut enfin entrer dans l’économie et son discours. Par exemple pour informer les politiques que la logistique de grand papa, c’est fini depuis pas mal de temps. Que la rentabilité de l’entreprise primera tout! Que les informations devront se faire en continu et sans ambiguïté. Si nous, le Medef, avons accès à des informations importantes, alors oui nous les fournirons à nos adhérents comme quand une entreprise aura des difficultés à accéder au canal, nous aiderons. Je pense aussi que le temps demande du temps et bien des choses comme la logistique vont encore évoluer après que le canal aura démarré. Peut-être ce canal va-t-il vraiment modifier les modes de gestion par les modes de transport, une nouvelle distributions des cartes dans la concurrence entre sociétés de même activité. Je veux dire que ce canal va toucher bien des Interland surtout au Nord de l’Europe. Donc il y aura là peut-être des marchés accessibles juste par la voie d’eau qui peuvent toucher les entreprises de notre région. Nos capacités à détecter et nous adapter seront testées. Là le Medef pourra jouer son rôle car nous sommes d’abord un hub d’informations.

Imaginons le pire, on apprend que le projet est définitivement abandonné. Quelle serait votre réaction sachant qu’il y a des supporters plus ardents que vous de ce canal ?

Je reflète ce que pensent les entrepreneurs. Nous ne sommes ni contre, ni pour, le canal est juste une option à envisager mais avec raison. Aux politiques de s’emparer de la problématique. Or jusqu’à présent ils ont bien peu cherché à connaître les vrais besoins de l’Economie et toutes ses fluctuations parfois brutales. Donc je peux vous redire que si ça se passe bien , l’entrepreneur se rapprochera du canal et vite, il n’y a pas d’ostracisme, tout comme eau, route et fer ne sont pas ennemis mais complémentaires, comme les longs et petits parcours qui demandent des moyens différents pour desservir le client.

Je pense enfin qu’un arrêt (de plus!) serait vraiment la fin de ce qu’il reste d’intérêt et d’énergie autour de ce projet. Il ne s’en remettrait plus. Je n’ose même pas imaginer comment nos partenaires à l’étranger nous regarderaient. Oui, on risque peut-être de se contenter de regarder les péniches sans qu’elles ne s’arrêtent chez nous…Les plus gros dégâts en tout cas concerneraient les retombées locales que je citais en début d’entretien, les emplois, le développement de ces centaines d’entreprises, des dynamiques locales stoppées net. Ce serait terrible, l’effet de flop ne s’effacerait pas de nos mémoires. Souhaitons le contraire !

Patrick Urbain (article CSN N°6)

 

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