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« L’acte II de la loi de 2005 sur le handicap »

A travers la loi du 11 février 2005, Jacques Chirac a bâti les fondations de la reconnaissance de toutes les déficiences, la personne en situation de handicap avait (enfin) une identité. Dans cet esprit, cet été 2019, un rapport parlementaire aborde la thématique complexe de l’inclusion des élèves handicapés dans l’école et l’université de la République. Entretien avec Béatrice Descamps, député de la 21ème circonscription du Valenciennois, dont l’investissement sur la thématique du handicap est continu et remarqué.

Le secret médical en question… !

Pour comprendre l’esprit de ce travail parlementaire, il faut d’abord préciser quelques marqueurs historiques dans l’approche du handicap dans notre société depuis des décennies.

Un coup d’oeil dans le rétroviseur nous rappelle qu’un demi-siècle plus tôt, la personne handicapée était mise sous cloche, à l’abri de 4 murs dans le milieu familial voire établissements fermés. Il n’était pas envisageable que le citoyen déficient côtoie les personnes dites « normales ».  Leur simple vue aurait pu dégrader le paysage… moral, affligeant !

Ensuite, un débat bosselé et frénétique a traversé les échanges entre les professionnels en responsabilité. Le handicap est-il une maladie ? Un vrai sujet de philo du mois de juin où la pensée partagée par certains psychanalystes a fait des ravages dans le mode de gestion des personnes handicapées. La personne en situation de handicap serait malade et nécessiterait un traitement médical, une hérésie pour d’autres professionnels, d’innombrables parents concernés etc. Cette bataille a indéniablement ralenti les initiatives en faveur de l’intégration de la personne en situation de handicap dans les différents milieux de la vie ordinaire.

Même si les gouvernements successifs, dont Valérie Létard sur l’autisme notamment, ont contribué à faire avancer l’idée  simple que la personne handicapée n’est pas malade ; aujourd’hui encore, des pans entiers de notre système demeurent bloquants, notamment le sacro-saint « secret médical. « J’échange avec des professionnels dans le médico-social sur le secret médical (et son aménagement) », souligne Béatrice Descamps. Pourquoi, la belle affaire, car la personne handicapée n’est pas malade ! Nous verrons ci-dessous l’impact de ces résistances surannées.

« De nombreux freins pour l’inclusion des élèves handicapés dans l’école et l’université », Béatrice Descamps

Début 2019, une enquête parlementaire sur inclusion des élèves handicapés dans l’école et l’université de la République a été initiée à l’Assemblée nationale, une thématique obtenant un large consensus dans la classe politique. D’ailleurs, ce rapport a été approuvé à l’unanimité en juillet 2019 et sera remis aux Ministres concernés plus officiellement durant le mois de septembre.

« Bien sûr, la loi de février 2005 est très importante. Enfin, on parle de l’intégration scolaire (entre autres) ! Toutefois, il faut distinguer reconnaissance du handicap, l’essence même de la loi de 2005, et les difficultés scolaires des personnes en situation de handicap», entame Béatrice Descamps.

Que révèle ce rapport ?

La loi du 11 février 2005 a imposé la création d’une Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) dans chaque département. Compte tenu de la densité et de l’étendue géographique du département, le Nord est doté de trois structures, Dunkerque, Villeneuve d’Ascq et Valenciennes (Boulevard Harpignies). « Le problème est que ces structures sont surchargées de dossiers à traiter. Ensuite, il existe une grande diversité territoriale en France. Certes, il y a un passage au numérique, mais tous les départements ne sont pas au même niveau. Malgré de grosses difficultés, le département du Nord demeure la plus importante MDPH de France. Elle est également un site pilote », commente la député. Derrière cela, le sujet récurrent du manque de moyens humains et financiers est sur la table. « Comme pour tout transfert de compétences de l’Etat vers une autre collectivité, les moyens financiers et humains ne sont pas revus à la hausse chaque année. Les MDPH ne peuvent plus assurer leur rôle de conseil compte tenu que les agents sont submergés par le traitement des dossiers », assène Béatrice Descamps.

Ensuite, une fois le dossier traité par la MDPH, et l’enfant notifié, vient la phase de l’accompagnement, l’évaluation ! « Nous avons également un besoin de formation des accompagnants. Ces derniers doivent exercer leur métier avec un bagage plus important, une formation initiale et continue durant leur activité. Il faut recruter, notamment en maternel afin de détecter les enfants en situation de handicap chez les touts-petits. Aujourd’hui, les accompagnants ne sont reconnus, ni professionnellement, ni en terme de salaire. Sur cette question de la précarité des accompagnants, la loi sur « l’Ecole de la Confiance » a permis une petite avancée à travers un CDD de 3 ans, renouvelable une fois, et titularisé si le contrat se poursuit », précise Béatrice Descamps. Dans la même philosophie, les « enseignants réclament également une formation sur le sujet. Ils ne connaissent pas les différents profils de handicap. Du coup, le dialogue est complexe avec les AVS* et AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) », poursuit-elle.

Si l’amendement proposé par Béatrice Descamps sur le CDD de 3 ans (puis CDI) fut intégré à la loi « Ecole de la Confiance », sa proposition d’une formation supplémentaire des accompagnants n’est pas encore à l’ordre du jour. Ce rapport apportera peut-être ce supplément d’âme nécessaire pour faire bouger les lignes…. budgétaires !

« Connaître le nombre de personnes en situation de handicap avant le début de l’année scolaire », Béatrice Descamps

Enfin, les structures concernées comme les établissements scolaires et universités demandent à cor et à cri « un outil statistique. Il devient indispensable de connaître le nombre de personnes en situation de handicap avant le début de l’année scolaire », explique la député. Durant une table ronde organisée par Béatrice Descamps, en présence de la Conseillère départementale Geneviève Mannarino, un directeur d’école se plaignait de ne pas détenir cette information en amont : « Je pourrai adapter les moyens humains et techniques pour accueillir dans les meilleures conditions les enfants en situation de handicap ».

Le raisonnement est tellement simple que l’on se demande d’où vient le frein ? Et pourtant le constat est d’une grande clarté.  Le chiffrage de cette population est demeuré absolument tabou pendant des décennies. Les professionnels du médico-social ne veulent pas partager une information, même parcellaire, avec les enseignants (voire direction) sous le couvert du secret-médical, même constat entre les AVS et les enseignants. On peut parler d’une chaîne de non-information. Qui pâtit de cette loi du silence, l’enfant très jeune ou plus âgé.  L’excuse d’une potentielle discrimnation, avec la levée du secret-médical, atteint des sommets de nombrilisme corporatiste, chacun dans sa cour et vogue le navire… !

« Je suis allée au Ministère de l’Education nationale avec l’APEI du Valenciennois », Béatrice Descamps

Face aux inerties ambiantes, Béatrice Descamps a voulu créer les conditions d’un changement d’attitude de toutes les parties prenantes.  « Je suis allée au Ministère de l’Education nationale avec l’APEI du Valenciennois. En effet, avec le président Georges Maillot, nous avons obtenu un rendez-vous avec un conseiller de Jean-Michel Blanquer pour lui proposer une expérimentation relative à la détection des enfants en situation de handicap chez les touts-petits. A la maternel, il est important pour un (e) enseignant(e) de bénéficier d’un autre regard, d’un avis plus aguerri sur le sujet. La détection durant les premières années est extrêmement favorable à une meilleure prise en charge ultérieure », précise Béatrice Descamps.

Suite à cette visite, un accord de principe est à mettre en oeuvre pour une expérimentation durant une année dans une école du Valenciennois avec le soutien expert de l’APEI du Valenciennois. « Cette demande n’est pas éloignée de la volonté du gouvernement. Ce dernier avait l’idée d’une équipe mobile de professionnels dédiée à cette détection dans les écoles maternelles », précise Béatrice Descamps. Idée très pertinente, mais elle serait très coûteuse avec peut-être une équipe supervisant un trop grand périmètre d’intervention ! Pourquoi ne pas faire confiance à des structures (d’utilité publique) de proximité très averties sur ces sujets ?

Sur le plan administratif, ce rapport suggère également la simplification des démarches administratives afin d’aider les familles. « Il faut regrouper dans un document unique le PPS (Projet Personnalisé de Scolarité) et le Geva-SCO (guide d’évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation) », poursuit-elle.

Enfin, l’ancienne enseignante n’oublie pas les vertus des classes « Ulis » (Unité localisé pour l’inclusion scolaire) bénéficiant d’un effectif réduit. « Elles sont essentielles pour un enseignement adapté et réfléchi », souligne-t-elle. Sur le point de l’inclusion en milieu ordinaire scolaire, elle propose la ligne médiane « je suis pour une intégration partielle dans une classe en milieu ordinaire. Il ne faut pas perdre son temps, ne pas faire de l’occupationnel. Il faut que cela soit un temps aménagé bien préparé », poursuit Béatrice Descamps.

Fort de toutes ces thématiques, ce rapport fera peu-être bouger les lignes sur l’inclusion scolaire afin de bâtir « l’acte II de la loi de 2005 sur le handicap », conclut la député.

Daniel Carlier

* On n’oublie pas une vague de 28 000 titularisations d’AVS (Auxiliaire de Vie Scolaire) sous le gouvernement de Jean-Marc Ayrault.

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