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La violence conjugale de moins en moins secrète

Le parcours de vie d’un fait de violence conjugale est avant tout d’une immense complexité humaine. Dans cette optique, les corps associés à la protection des victimes construisent peu à peu le meilleur maillage possible afin de n’oublier personne au bord du gouffre. C’est pourquoi, l’hôpital public est par essence un lieu où des actes de violences présumés sont révélés, un fait à mettre en perspective avec une modification de la loi en 2020 sur le secret médical (visuel Jean-Philippe Vicentini, Michel Chpillevsky).

(De gauche à droite, Jean-Philippe Vicentini, Michel Chpillevsky, Laurent Degallaix, Rodolphe Bourret, Borris Bonnerre, François Malbrancq, Michel Thumerelle, non présent sur ce visuel Agnès Lyda-Truffier, Eric Laurier)

Jean-Pierre Vicentini : « La construction d’une enquête pour violence conjugale est complexe »

Au coeur du sujet, le Procureur de la République de Valenciennes commente l’actualité récente : « Malgré le Grenelle contre les violences conjugales, un colloque en septembre 2019 sur le sujet avec les acteurs du territoire, nous n’étions pas à l’abri d’une affaire grave. Ensuite, nous constatons sur le  Valenciennois une hausse de 31% entre les 9 premiers mois 2018 et les 9 premiers mois 2020, voire plus 6% avec 2019. Il faut y voir des dispositifs qui portent leurs fruits, la parole se libère. Néanmoins, je tiens à dire que la construction d’une enquête pour violence conjugale est complexe, le mis en cause tout comme la (ou le) plaignante peut mentir. J’ai dernièrement eu récemment un individu mis en cause, sous contrôle judiciaire non respecté avec une incarcération, et la victime vient à la barre dire que tout était faux. Parfois, les victimes peuvent également être totalement dans le déni complet avec des incidents au tribunal pour libérer leur conjoint violent, c’est de la conjugaupathie ! ».

Voilà le décor planté, celui d’une recherche de la vérité compliquée, mais qui parfois vous saute aux yeux, notamment au sein des services hospitaliers. Une initiative avait déjà été lancée entre le Parquet et le Centre Hospitalier de Valenciennes afin de collaborer plus étroitement. Cette fois, une convention plus large implique le Parquet de Valenciennes, 3 hôpitaux publics du territoire (Valenciennes, Denain, et Saint-Amand-les-Eaux), la Police Nationale, la Gendarmerie nationale, et la Sous-Préfecture de Valenciennes.

Bien sûr, des traces évidences de violences conjugales génèrent un signalement immédiat auprès du Procureur de la République. Par contre, les cas où la violence physique est plus diffuse, voire morale, sont plus complexes à appréhender. Le professionnel de santé doit de facto pouvoir s’appuyer sur des partenaires compétents pour décloisonner ce sujet hors les murs de l’hôpital.

« Recevoir la plainte de la victime à l’hôpital », la Convention

Cette convention permet une avancée majeure pour le professionnel de santé. En effet, il pourra « solliciter la venue d’un enquêteur de la police nationale ou de la gendarmerie afin de recevoir la plainte de la victime à l’hôpital dès lors que son état ne lui permet pas de se déplacer en précisant le degré d’urgence et si la sécurité de la victime, de ses éventuels enfants ou du personnel médical est compromise en lien notamment avec le comportement de l’auteur des violences ou de ses proches ».

Le Valenciennes… juste derrière Lille

Le commissaire divisionnaire Borris Bonnerre et le Commandant de Gendarmerie François Malbrancq

Face à cette violence récurrente, un autre comptable de ce fléau travaille de manière permanente.  « Sur les neuf premiers mois de 2020, nous enregistrons presque 1 000 faits de violences conjugales, juste dernière Lille », commente Borris Bonnerre, le nouveau Commissaire divisionnaire de Valenciennes d’une zone police importante sur l’arrondissement.

Bien sûr, le traitement de ses faits de violences impose une « finesse d’analyse indispensable. C’est pourquoi, nous avons des policiers spécialisés ! », ajoute-t-il.

En miroir, la zone gendarmerie enregistre 50 faits en 2019 comme en 2020. La gestion de ces derniers s’inscrit dans un parcours victime. « Nous avons un cap sur 5 ans. Le traitement commence par la prise en charge avec une priorité à la mise en sécurité des victimes. Le premier accueil téléphonique est fondamental, il doit être exemplaire tout comme l’action des primo-intervenants. Nous avons des formations spécifiques en ce sens. Ensuite, la poursuite de l’action judiciaire, et enfin le suivi de la victime », explique François Malbrancq, commandant de la compagnie de gendarmerie de Valenciennes.

Chaque cas est unique. Parfois, vous devez privilégier le contact téléphonique afin de ne pas mettre en danger la victime de violences conjugales. Toutefois, des avancées solides sont à prendre en compte comme les TGD (Téléphone Grand Danger). « Nous avons 10 TGD sur notre ressort judiciaire, et la Cour d’Appel de Douai nous a prêté trois autres TGD. Ensuite, le maintien de la victime dans le domicile conjugal est devenu le principe, presque une inversion de la pratique d’aujourd’hui », poursuit le Procureur de la République.

La loi sur le secret médical modifiée

Pour le Centre Hospitalier de Valenciennes, Rodolphe Bourret place le niveau du sujet là où se situe. « C’est un problème de santé public avec une urgence vitale. Au CHV, deux pôles sont concernés, le pôle de santé public, et le pôle urgence ».

Pour sa part, Agnès Lyda-Truffier, Directrice du Centre Hospitalier de Demain s’inscrit « pleinement dans les propos de Rodolphe Bourret ». Enfin, Michel Thumerelle, le Directeur du CH de Saint-Amand-les-Eaux rappelle que « comme tous les hôpitaux publics, nous sommes ouverts la nuit. Comme nous n’avons pas de service d’urgence, nous travaillons main dans la main avec le CHV ».

Par ailleurs, le parlement a voté une loi sur la modification du secret médical pour les professionnels de santé, une révolution tant ce droit, à l’instar du secret secret professionnel de l’inspection du travail, est extrêmement solide. En effet, compte tenu des situations où une victime présumée refuserait un signalement aux autorités, le médecin peut procéder à une information au Ministère public tout en informant la victime de la dite démarche.

La loi du 30 juillet 2020 est claire « lorsque le praticien estime en conscience que ces violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et que celle-ci n’est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l’emprise exercée par l’auteur des violences ». Par contre, il se doit de tout mettre en oeuvre pour obtenir le consentement de la victime. Cette modification essentielle de la loi ne fait pas référence à la typologie de la violence qu’elle soit physique et/ou verbale.

Néanmoins, le Procureur de la République rappelle une donnée tangible. « Nous pouvons accuser de violences conjugales dès lors que nous avons des preuves. On ne peut rien faire sans preuve ! ».

Non signataire de la convention, Laurent Degallaix, le Président de Valenciennes Métropole, était présent à l’invitation des signataires. « Nous sommes très actifs sur le sujet en soutenant les associations en charge des violences conjugales. A ce titre, nous finançons le SAVU (Service d’Aide aux Victimes) avec la Porte du Hainaut suite au désengagement de l’Etat depuis le 01 janvier 2020 », commente-t-il.

Enfin, l’Etat de proximité rappelle les avancées sur ce sujet suite au Grenelle de l’Environnement « à travers une plateforme nationale de signalement, le 3919. Ensuite, la pratique du bracelet électronique s’est répandu tout comme le TGD. Enfin, le maintien de la victime dans le logement conjugal est la norme en rupture avec la pratique habituelle. Sur le Valenciennois, nous soutenons l’AJAR (Association Justice Accueil Réinsertion) », indique Le Sous-Préfet de Valenciennes.

Daniel Carlier

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