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Voyage au bout de l’autisme

Moment rare où le silence est étouffant, pesant, l’assistance était sous le choc du documentaire sur l’autisme de Romain Carciofo. Ce moment s’inscrivait dans le projet de quatre apprenants de l’IRTS à Valenciennes, retour sur cette soirée particulière et passionnante (Visuel Romain Carciofo).

L’autisme, un mal français !

Marine, Marion, Meggy, et Tony (visuel ci-dessus), quatre étudiants au sein de l’IRTS de Valenciennes ont choisi la thématique de l’autisme comme projet de 2ème année de formation « Moniteur-Educateur ». Bien leur en a pris, d’autant plus que l’angle choisi n’est pas du tout le volet de traitement habituel, le film Rain Man a glorifié pour l’éternité les autistes Asperger, même s’ils ne représentent que 10% de la population totale des personnes atteintes par l’autisme. Cette fois, le focus « se porte sur l’autisme profond », souligne Marine. La violence sur les aidants, les crises de décompensation, le besoin de casser tout ce qu’ils peuvent trouver, véritablement, il faut un moral d’acier, ou plutôt un amour sans nuage pour résister à une vie dédiée au trouble du comportement autistique.

Romain Carciofo et François Derquenne

En effet, ce documentaire baptisé « Solutions d’espoir : un regard sur l’autisme en France » est un voyage dans l’univers de l’autisme lourd, des familles, des aides soignantes, des structures innovantes, un rendu sans concession très poignant. Ce film fut réalisé entre 2010/2012, et diffusé en 2013. « Durant le tournage, France 3 m’a lâché, car c’était l’époque où la publicité devenait interdite sur une chaîne publique. Il fallait faire des choix », précise Romain Carciofo. « On a fait de l’économie sur l’autisme », tance François Derquenne, le directeur de l’imaginaire à Douchy-les-Mines.

« J’ai donc réalisé seul ce film documentaire. J’espérais à l’époque qu’il pourrait faire bouger les choses sur l’autisme. Ce film n’a pas eu l’effet escompté, mais j’envisage un nouveau documentaire, entre autres, sur l’autisme d’un point de vue plus global. Aujourd’hui, un enfant sur 70 naissances aura une prévalence pour l’autisme compte tenu d’un meilleur diagnostic », précise Romain Carciofo. Notons que France 3 a diffusé tout de même ce sujet, une fois à 5 heures du matin, et une fois à 8 heures du matin… sans aucun débat à la clé.

Et bien non, à Douchy-les-Mines, plus de 120 personnes sont venues un mardi soir pour (re)découvrir un documentaire sur l’autisme lourd, celui qui concerne 90% des familles et pour lesquelles très peu est fait.

35 ans de retard ou 35 ans d’avance ?

Parmi les réflexions post projections, le refrain habituel du retard endémique de la France dans la prise en compte du handicap quel qu’il soit, c’est une réalité. « On s’inspire des méthodes dans les pays nordiques, notamment en Finlande, elles fonctionnent », explique une mère.

Serge Kalicki, vice-président du Réseau Bulles, et intervenant à l’IRTS, rappelle l’histoire de l’autisme : « Aux U.S.A, vous avez la première loi sur le sujet en 1945. En France, la première intervient en 1999, grâce à Simone Veil, mais surtout en février 2005 avec la loi votée sous Jacques Chirac, 1945/2005, l’écart est là ». L’ancien Président de la République était également le père d’une enfant handicapée, ceci expliquant cela.

Que ce soit dans les pays nordiques ou les pays sous influence anglo saxone, le handicap fait partie de notre corpus, c’est une partie de nous, et pas un appendice pour lequel il se pourrait qu’une attention particulière, publique ou privée,… survienne !

Ce focus filmé sur les jeunes voire moins jeunes autistes était d’une authenticité bluffante. La caméra est arrivée à capter des visages, sans voyeurisme, des autistes, et des familles déchirées. « Nous ne regrettons pas une seconde d’avoir évité l’enfermement à notre fils quand il ne pouvait pas plus rester en Belgique », soulignait une maman. Son propos venait clôturer l’explication du quotidien d’une famille, la déchirure quotidienne. Il faut dire les choses, l’enfermement dans un hôpital psychiatrique s’avère le plus souvent le destin d’un enfant autiste  » non communicant« . De plus, ce documentaire montrait également des témoignages de violence des encadrants envers des autistes, c’est une infime minorité, mais cela existe. 

« Un jour de survie, un jour de sursis », Serge Kalicki.

La problématique des aidants est fondamentale pour parfaitement comprendre le dossier. Bien sûr,  jusque 20 ans, les autistes peuvent passer la frontière pour rester en journée dans un établissement belge. « Cela coûte près de 4 000 euros par jour pour transporter (en véhicule médicalisé) mon fils en Belgique. Je dois mettre à titre personnel près de 900 euros », souligne-t-elle.

La réalité de cette intervention sincère est d’une incroyable violence. Depuis des décennies, la Sécurité sociale française préfère débourser plus de 3 000 euros/jour pour le transport d’un enfant autiste hors de ses frontières plutôt que de lancer un programme massif de construction de sites spécialisés en France !

Certains témoignages d’un retour au foyer, après 20 ans, furent très éclairants. « Il faut changer notre norme d’éducation, rien n’est pareil, un jour de survie, un jour de sursis. On aspire à ce que notre enfant vive une vie ordinaire. Comment vivre sans exister ? », s’interroge Serge Kalicki.

Passer le CAAP !

Toutefois, la lumière peut-être au bout de ce tunnel, des méthodes hétéroclites sont apparues. « Nous regardons toutes les méthodes. En France, il faut individualiser, personnaliser les solutions », explique une mère d’un enfant autiste.

Dans ce documentaire, le reporter met en lumière le CAAP, Centre pour Adultes avec Autisme en Poitou (le C.A.A.P), sur le Poitou. Le discours du responsable est résolument optimiste avec des progrès tangibles. « Nous ne sommes pas meilleurs que les autres, mais plus obstinés. La médication n’est pas une solution, on évite l’inactivité favorisant les angoisses », commente le responsable de cette association au service du handicap.

Des moyens et des convictions

Logiquement, la puissance publique fut sur le grill durant cette soirée. « On ne peut pas tout avec rien », commente l’adjoint de la commune de Douchy-les-Mines. Un commentaire suite au propos assez volontariste de  Serge Kalicki. « Je suis agacé d’entendre tout le monde se cacher derrière un manque de… ! Il serait nécessaire que les professionnels fassent un peu de ménage dans leurs convictions ».

Dans les nombreuses questions suite à ce documentaire, une intervenante met en exergue : « Il faut s’inspirer des différentes méthodes, mais traiter des cas individualisés ».

Les étudiants de l’IRTS étaient ravis de cette projection voire du cycle soutenu de questions/réponses, des pistes associées de réflexions multiples, car personne n’a la vérité absolue sur ce sujet. « Nous sommes fiers de cette soirée, de l’assistance nombreuse un mardi soir, et enfin de  l’échange après cette projection faisant réfléchir sur le quotidien des accompagnants », indique Marine.

Marion, comme ses collègues, a été sensibilisée sur cet item dans des fonctions précédentes. « Nous avons contacté le Centre de Ressources sur l’Autisme des Hauts-de-France. Ainsi, nous avons récupéré beaucoup d’informations sur le sujet. Rapidement, l’angle de traitement s’est révélé. C’était le quotidien des familles autistes ».

Pour sa part, Tony est en contrat d’apprentissage dans un IME (Instituts Médico-Educatifs) avec l’APEI du Valenciennois, il souhaiterait un renversement d’un mode de pensée. « Il faut changer le regard de l’autisme en France. On a longtemps caché les autistes à la maison, on avait honte. C’est une question de reconnaissance de l’autiste en France ! ».

En conclusion de cette soirée mémorable, Serge Kalicki imprime le ton de l’espoir : « Je ne demande pas à mon fils de changer la vision du monde. Je demande juste que le monde change sa vision de lui. C’est mon fils qui me fait grandir ».

Daniel Carlier

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