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La justice du quotidien en grande souffrance au Tribunal de Valenciennes

Chaque jour, notre temps de cerveau est accroché par la volonté farouche des gouvernements successifs de réformer la sanction pénale à tous les niveaux aux quatre coins de la France, de Valenciennes… à la Guyane ! D’évidence, la justice pénale doit s’adapter à l’évolution des comportements de plus en plus desinhibés ! Toutefois, la justice civile de proximité, celle où les contentieux au jour le jour se règlent, connaît un engorgement dès plus alarmant et spécifiquement au Tribunal de Valenciennes. C’est pourquoi, le barreau de Valenciennes a décidé d’alerter le grand public face à cet état des lieux d’apparence inextricable. La situation ne peut en rester là afin d’éviter des drames humains pour des justiciables, des magistrats, des greffiers et agents administratifs, et bien sûr des avocats sous tension extrême.

(De gauche à droite, Maître Lhussiez, Maître Ruol (bâtonnier), Maître Lejeune, et Maître Menu)

C’est un véritable cri d’alarme que le bâtonnier, Maître Ruol, et trois consoeurs du Conseil de l’Ordre de Valenciennes, très pointues dans le domaine sensible des affaires familiales, Maître Menu, Maître Lhussiez, et Maître Lejeune, ont lancé vendredi dernier auprès de la presse locale. Fort d’un barreau de 117 avocats à Valenciennes, ces professionnels du Droit constate sans concessions un dysfonctionnement majeur dans la pratique de la justice civile au Tribunal de Valenciennes.

Pour planter ce décor particulier, le Tribunal du Valenciennes est le deuxième, en terme de taille, du Département du Nord. Derrière Lille, le ressort de Valenciennes/Avesnes est particulièrement sollicité. C’est un Tribunal à 3 Chambres, une pénale, et deux civiles, une signature de poids en la matière. Concrètement, le constat est amer pour la famille des Professionnels du Droit. « Le Tribunal de Valenciennes, ses magistrats, le greffe (ses greffiers et ses agents administratifs), et ses avocats, est en grande souffrance. Certes, la chaîne pénale fonctionne parfaitement, mais la justice civile a été sacrifiée compte tenu des restrictions budgétaires », lance le bâtonnier.

La justice civile ne se voit pas !

Les violences intrafamiliales, les atteintes aux personnes et aux biens, les délits majeurs tous azimuts représentent en France environ 25% des dossiers au sein d’un Tribunal en France. Toutefois, sur Valenciennes, « nous sommes plutôt au dessus de 30% au niveau pénal. Néanmoins, la justice civile ne se voit pas, mais constitue l’essentiel de l’activité du Tribunal de Valenciennes », précise Maître Ruol. 

Bien sûr, le justiciable au bout de la procédure civile pâtit de cette situation, mais ce n’est pas le seul. « Certains magistrats sont en dépression, tout comme des greffiers et des agents administratifs, voire des collègues avocats. Nous avons un mal être général », ajoute Maître Ruol. L’inquiétude transpire des propos de ces avocats. « Attention, nous ne chargeons pas les magistrats et les greffiers, nous sommes totalement solidaires. Nous avons tout simplement un stock de dossiers qui ne diminue pas et des délais trop longs pour le traitement de ces derniers », ajoute-t-il.

« Aucun magistrat ne veut venir à Valenciennes ! », Maître Ruol

Avant la COVID, le Tribunal de Valenciennes assurait 5 audiences par semaine dans le domaine des Affaires Familiales. La COVID a ralenti drastiquement le nombre de dossiers traités à Valenciennes comme ailleurs, mais « nous n’avons jamais repris le rythme d’avant la Covid. Nous avons deux audiences par semaine actuellement et plus aucune à compter du 03 juillet jusque fin août », s’exclame Maître Lhussiez.

Pourtant, la réforme de l’ancien Garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti, a permis de doubler le nombre d’apprenants à l’ENM (Ecole Nationale de la Magistrature). A ce titre, une promotion importante des futurs Magistrats du Siège arrivera dans tous les tribunaux de France. Afin de déterminer le nombre indispensable de magistrats au bon fonctionnement des instances de justice, les Cours d’Appel ont été chargées de recenser les besoins. Pour le département Nord, la Cour d’Appel de Douai s’est acquittée de cette mission sauf que…

En septembre 2025, les magistrats seront de fait répartis dans les différents tribunaux, mais une problématique se profile… « La charge de travail, le stock accumulé de dossiers en retard, le manque de magistrats, de greffiers…, le mal être général, conduisent à cette situation. Aucun magistrat ne veut venir à Valenciennes. Pourtant, nous avons le soutien total de la Présidence du Tribunal de Valenciennes et de celle de la Cour d’Appel », indique le bâtonnier. A noter, le nombre de dossiers civils sur Valenciennes n’augmente pas plus que les autres, « il reste stable », précise Maître Ruol.

Pour le justiciable, la traduction est simple dans son quotidien. « La Présidence du Tribunal n’a pas validé d’audiences en septembre prochain, car les 5 magistrats du JAF (Juges des Affaires Familiales) cessent leurs fonctions le 31 août prochain et n’avons aucune information pour le mois de septembre 2025 ! », ajoute Maître Lhussiez.

« Un justiciable peut craquer face à un délai de justice », Maître Lhussiez 

Que traite la justice civile ? Ce sont les contentieux entre particuliers, le bail, les tutelles, les litiges de toute nature, et surtout les affaires familiales, le divorce où la détermination de la pension alimentaire, le droit de visite… et lorsque « vous attendez 18 mois pour une décision relative à un droit de visite, un père peut craquer sans voir ses enfants durant une si longue période et vous passez d’un dossier civil de divorce (classique) a un dossier pénal », commente Maître Lhussiez. De même, « si vous obtenez la fixation de la pension alimentaire (collectée par la CAF) au bout de 2 ans pour une mère sans revenus. Comment fait-elle pour les nourrir ? », ajoute Maître Menu. Attention, ces propos ne justifient en rien un passage à un acte délictuel, mais dans la recherche de la vérité, la cause initiale peut générer des conséquences graves. 

« Un délai minimum de 7 mois », Maître Menu

Clairement, le délai dans cette matière très sensible du Droit de la Famille est source de multiples conséquences pour les parties concernées. Traduction simple, même en cas d’un choix mutuel pour une procédure de divorce « je conseille parfois à un couple de rester sous le même toit jusqu’au jugement, car après un délai si important, l’enfant sera remis à la garde exclusive de celui qui accueille ces derniers et la garde partagée (souhait initial) ne sera plus possible. D’entrée de jeu, vous avez un délai de 7 mois au Tribunal de Valenciennes », indique Fabienne Menu.

« Le justiciable a besoin de voir un juge, cela reste une autorité », Maître Ruol

Contrairement au pénal où les audiences avec les coupables présumés peuvent être très tendues,  la justice civile impose une parole écoutée du Magistrat. « Il y a encore un respect de son juge en matière civile. Le justiciable a besoin de voir un juge, cela reste une autorité », commente le bâtonnier.

Pourtant, une autre réforme positive a permis d’installer des ARA (Audience Règlement Amiable) où un magistrat du siège essaye avec les parties (et leurs avocats) de trouver un accord amiable, sans passer par une procédure. Excellente idée pour accélérer le temps de justice, sauf que « nous ne pouvons pas la mettre en oeuvre au Tribunal de Valenciennes, faute de magistrats. En effet, le juge de l’ARA doit être différent de celui qui pourrait traiter le dossier si ce dispositif échouait pour revenir à une procédure classique », ajoute le bâtonnier. 

Dans un monde anxiogène, l’impression de tourner en rond est angoissante à plus d’un titre au Tribunal de Valenciennes. Manque de magistrats pour traiter les dossiers et ils le vivent « très mal sachant que l’annonce d’un délai très long est très mal reçu par les parties le jour d’un procès », indique Maître Ruol. Parfois, le jugement n’est pas rendu faute de greffiers, ce qui a concrètement été le cas sur Valenciennes. « Je vous rappelle qu’un greffier s’est suicidé en septembre 2023 et qu’un autre a fait une tentative de suicide en mai 2024 », indique Maître Lussiez. « C’est la justice du quotidien dont nous parlons ! », tance Maître Menu.

Dans la suite logique, les avocats n’en peuvent plus d’argumenter l’inexplicable délai de traitement de leurs dossiers, une source d’angoisse, voire simplement économique pour certains. Enfin, au bout de la chaîne, cet état de fait réduit la portée, l’acceptation en résumé, de la chose jugée. C’est simple à comprendre et dans la nature humaine !

Des moyens humains, encore des moyens humains, et toujours des moyens humains

Il est intéressant de rivaliser d’imagination à travers une loi utile contre les Narcotraficants, voire une extension de la CRPC (ou plaider-coupable) à une CRPC criminelle, mais il serait tout aussi pertinent de trouver des solutions pragmatiques et efficientes pour le ressort de Valenciennes/Avesnes ! La procédure civile, les yeux dans les yeux, n’est pas la plus spectaculaire, mais elle instille le respect de la justice passée. Par contre, l’attente d’un individu face à des délais incompréhensibles, voire insupportables, renforce cette petite musique, comme pour l’insécurité, d’un sentiment d’injustice où plutôt d’absence de justice. L’effet est le même sur la citoyenneté de tout un chacun, délétère et ravageur !

Le traitement dans un délai de justice raisonnable fait partie (aussi) de ce bien-vivre ensemble. Il n’y a pas que les grands dossiers au pénal, le litige au coin de la rue, une affaire familiale modifiant le cours de votre vie… traitée dans un temps déraisonnable transforme (parfois) un dossier civil en drame humain. Une justice civile éprouvée par sa mission accomplie et plus fatiguée par son incapacité à la remplir au Tribunal de Valenciennes, voilà l’objectif pour cette fin d’année 2025 ! « Nous avons besoin de moyens humains supplémentaires dans les meilleurs délais », conclut le bâtonnier de Valenciennes.

Daniel Carlier

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