Olivier Arrigault : « Le Canal Seine-Nord ? Une option possible pour nos transporteurs.»
Fidèles à la démarche engagée le 3 janvier dernier sur va-infos avec un premier article sur les thématiques tournant autour du canal Seine-Nord-Europe, nous avons rencontré Olivier Arrigault , un des acteurs de ce gigantesque ouvrage dont le premier réel coup de pioche doit être donné quelque part du côté de Compiègne en 2017.
Précisons avant de lui laisser la parole que notre initiative consiste à serrer au plus près les futurs intervenants pour connaître leurs attentes ou leurs doutes. Cette démarche est donc pragmatique et objective, à charge et à décharge, et rompt avec la bienveillance cauteleuse qui entoure trop souvent l’évocation de ce canal dans les discours convenus et la presse non spécialisée.
Camion et pollution ne forment plus du tout un couple inséparable !
Olivier Arrigault est le secrétaire général de la FNTR (fédération nationale des Transporteurs Routiers), également délégué régional Hauts de France, c’est dire s’il occupe une place hautement stratégique depuis le discret mais charmant siège boisé de cette organisation, une bien belle maison blanche nichée près du golf du Sart à Wasquehal (banlieue lilloise) . Depuis ce centre nerveux sont répertoriés et organisés les flux des transporteurs et des logisticiens. Et surtout analysés ! Car bien des choses ont changé dans le monde assez cloisonné du transport, or le grand public ne le sait pas vraiment, restant à l’image d’Epinal du bon vieux routier pollueur qui plaît tant à certains, ceux qui précisément souhaitent que la voie d’eau supprime l’asphalte. Olivier Arrigault sourit…
«Ces deux vecteurs, la voie d’eau et la route, sont et resteront très longtemps complémentaires n’en déplaise à certains rêveurs aux idées simplistes. Les transporteurs vont faire face à un nouveau tournant de leur longue histoire, le plus récent ayant été l’intégration au transport routier des deux Grenelles et de leurs dispositions. Notre organisation qui compte dans les Hauts de France environ 700 entreprises, tous métiers confondus, souvent des PME, a déjà fait beaucoup en particulier dans la formation des chauffeurs, les économies de carburant, l’utilisation de sources d’énergie non ou peu polluantes et qui sont chaque année plus « propres » écologiquement qu’avant, et toute une série de pratiques limitant les gaz à effets de serre, mais aussi le kilométrage. Aller dans le détail ici de toutes nos interventions est impossible bien entendu mais faites bien savoir que le monde du transport et de la logistique est bel et bien de son temps même s’il n’en a pas fait une grande publicité. Pour parler du canal Seine-Nord, il faut d’abord connaître notre univers de la route en 2017 pour voir s’il se précipitera sur l’option CSN ou au contraire prendra ses distances, conservera le mode asphalte ou panachera les deux. Sinon, sans cette objectivité, on rentre dans un discours partisan et ce n’est pas le style de la FNTR Nord».
Le marché décidera dans le temps…
« Nous sommes dans les Hauts de France et en particulier dans le Nord-Pas de Calais, un immense hub routier national et international. Il y a peu de régions en Europe à distribuer autant de destinations. Aujourd’hui, la route est utilisée par 80% de nos adhérents, les zones de logistiques sont encore collées aux autoroutes et embranchements, ce sont les routes nationales et les grandes départementales aussi qui les attirent. La voie d’eau concerne pour l’instant surtout le transport agro-alimentaire et des matériaux divers pour la métallurgie, les travaux publics etc. Ce qui explique aussi ce foisonnement d’entreprises de notre filière, c’est la densité humaine, les villes nombreuses et rapprochées les unes des autres, bref les besoins en marchandises à livrer souvent dans les coins les plus reculés. On ne peut pas imaginer que la voie d’eau satisfasse à elle seule cette demande et élimine le camion. L’offre est à sa hauteur chez nous et ça peut aussi être une chance pour ce canal s’il répond de façon réaliste aux exigences très concrètes du marché. Donc nous attendons du monde politique qu’il identifie bien ,avec notre aide notamment, les composantes de l’alchimie transport- logistique-canal, et qu’il mette du contenu dans ses propositions. Du concret, du solide aussi sachant que même sans l’arrivée de ce canal, les flux augmentent en ce moment dans notre région. Donc on peut penser le canal correctement, à condition de le voir dans l’évolution du temps. D’ici 2023, date dont on nous dit, peut-être un peu imprudemment ainsi que son coût initial qui nous semble bien bas eu égard aux inévitables surcoûts et incidents de parcours, qu’elle sera l’achèvement du CSN, le marché du transport aura encore évolué. Quelle sera la réponse de nos transporteurs à cette nouvelle offre ? Je n’en sais strictement rien à ce jour. Je sais que les chargeurs, eux, trouveront chaussure à leur pied sur le CSN, mais les autres acteurs de terrain, eux, mettront toujours en avant d’abord les lois du marché, les coûts, les prix, les délais de transport etc. Vous le voyez, nous ne sommes pas opposés à ce canal bien entendu, au fil du temps, le transporteur y trouvera sa place mais à son rythme et surtout à ses conditions. Mais ce n’est pas non plus l’enthousiasme quelque peu démesuré des signataires des deux Grenelles de l’Environnement… »
Des arguments en faveur du CSN, il en existe !
«Nous avons la chance d’avoir depuis les dernières régionales l’oreille du Conseil régional des Hauts de France et des Départements du NPDC et de Picardie. Auparavant et sans vouloir entrer dans un discours politique qui n’a pas sa place aujourd’hui, ici il ne s’agit que du CSN et des opportunités qu’il peut présenter au transporteur, ce n’était pas aussi régulier ni attentif, on n’était pas prioritaire dans certaines préoccupations politiques. Là, nous avons au contraire le sentiment d’être écoutés et suivis. Mais quelques éléments plaident en faveur du CSN, quelques contraintes et modifications nouvelles du « paysage Transport et Logistique » surviennent depuis quelques mois. Avec les nouveaux Plans d’Occupation des Sols et l’intégration de l’urbanisme commercial à l’urbanisme urbain traditionnel, l’habitude prise par la logistique de manger du foncier et grignoter les terres agricoles peut peut-être aller decrescendo dans un futur proche, mais pour l’instant, on ne le sent pas car nos logisticiens s’implantent essentiellement aux intersections de grandes voies de communications.On est surtout sur des croisements comme à Delta 3-Dourges par exemple. Mais là aussi la situation peut évoluer, les POS peuvent s’imposer et contraindre le logisticien à changer ses pratiques, entraînant dans son mouvement le transporteur. Un autre élément positif pour le CSN, c’est que nous voyons la fin du tunnel en ce qui concerne notre image de marque. Je m’explique : l’après Grenelle de l’Environnement a été très dur pour nous, nous étions très mal vus. Mais nous nous sommes adaptés et avons même préparé le « dernier kilomètre », c’est-à-dire un mode de transport routier court et nouveau, pas polluant, par exemple entre la plate-forme trimodale et le supermarché du coin. Peu à peu, on nous a pris en considération et on nous a écoutés. Enfin, autre élément peut-être favorable au CSN, c’est le parc de nos routes qui ne se renouvelle que très peu et n’est plus entretenu comme avant la rétrocession des routes nationales aux Départements. On ne construit plus beaucoup de routes ni encore moins d’autoroutes. Il n’y a plus beaucoup d’argent dans les caisses de l’Etat ni des collectivités donc la situation des routes ne va pas s’améliorer. Et les embouteillages qui ne cessent de grossir et de gagner toutes les villes sans exception sont une plaie, il faudra bien que les transporteurs réagissent si cela s’envenime encore plus. Le CSN saura-t-il en profiter et offrir une meilleure accessibilité aux transporteurs ? Ces plate-formes de bord à canal vont à leur tout engendrer des embranchements, surtout si le chemin de fer est rénové, donc le couple logisticien-transporteur peut-être intéressé».
«Mais contrairement à ce que pensent de nombreux partisans du CSN qui voit la chose comme un combat visant à éliminer ou rendre minoritaire l’usage de la route, elle restera numéro Un encore longtemps et sil es embranchements seront moins nombreux, ils se rendront plus attractifs aussi. N’oublions pas que s’interpose le ferroutage. C’est un concurrent du CSN…Tout dernièrement les Ports de Lille ont conclu avec Marseille la mise en place d’une ligne ferroviaire directe pour nos transporteurs. L’Etat n’a qu’ajourné pour des raisons financières et une meilleur étude du dossier son projet de ferroutage de Dourges à Bayonne. D’autres lignes existent déjà. Enfin, la concurrence des pays de l’Est de l’Europe est tenace posant aux PME de transport françaises de graves problèmes de compétitivité. La SNCF a tardé à offrir au fret la place qu’il devrait occuper en raison de ses propres problèmes sur ses lignes, d’où une sous-utilisation par la transporteur. Tout cela pour dire quoi ? Que les concepteurs du CSN devront sortir de leur bulle et examiner très prosaïquement tout ce qui agite le monde du transport et de la logistique, et très précisément et si possible, vite !, car les entreprises attendent d’ores et déjà des offres de prix, des délais, bref des choses concrètes pour examiner l’offre CSN et la comparer avec les modes plus classiques. Et pour quelles marchandises ? Fer et canal doivent être de plus en plus performants pour séduire. Il y a du pain sur la planche mais pendant ce temps nos camions roulent et observent, les logisticiens ne cessent d’améliorer leurs entrepôts et diversifient leurs activités».
N’opposons pas les modes !
«C’est de complémentarité que je préfère parler. Le fameux dernier kilomètre ne se fera pas par la voie fluviale, ne rêvons pas. Il y a des marchés pour la voie d’eau. La tendance actuelle de la route est à transporter des choses de moins en moins encombrantes et lourdes. C’est une chance pour les grosses barges et leurs pousseurs. Et puis la notion d’urgence s’est modifiée au fil du temps. Je ne suis ni optimiste pour le CSN ni pessimiste, son succès viendra de l’évolution du transport dans le temps, d’ici 2023 ou 2025…, de la capacité des transporteurs à trouver de nouveaux marchés justifiant l’utilisation du canal, de la répartition des marchandises à transporter aussi. Les collectivités vont gérer les plate-formes multimodales, certaines ne seront dans un premier temps que bi-modales, mais par exemple sur le Valenciennois, il y en aura 5 totalement multimodales, là, c’est un atout indéniable. Il y aura aussi des plate-formes privées, tout cela va faire un énorme maillage en peu de kilomètres finalement. Les politiques vont jouer un rôle considérable car c’est le marché qui fera vivre les plate-formes et pas le contraire. En clair, ne pas créer et financer de plate- formes dont les quais resteraient à moitié vides…Il faudra surtout de la réactivité et un grand réalisme ! J’ai vu lors d’une visite au port d’Anvers que les autorités ont constaté que le fer , en l’absence de ce canal Seine-Nord qui tarde énormément, pouvait être redynamisé, ils ont voté un cortège de subventions en faveur de ce mode et le transporteur du Benelux y a répondu positivement. Voilà une concurrence de plus pour le CSN !Nous, Français , sommes beaucoup trop attentistes. Vous le constatez, tout cela, la réussite financière et économique de ce canal, dépend de très nombreux facteurs et de leur ajustement qui devra évoluer en fonction de l’évolution des marchés. Je pense que le discours sur l’écologie est tout à fait estimable, oui une barge représentant 80 camions, c’est mieux pour l’écologiste que 80 camions sur la même route, mais nos camions ne sont plus que pour une faible part dans la pollution et la vraie mobilité pour livrer en temps et partout , c’est encore le camion. Le monde du transport aujourd’hui ne participe pas à cette sorte de guerre de tranchées déclarée par des écologistes euphorisés par les deux Grenelles. Ils iront au mieux offrant dans un bon rapport qualité-prix-sécurité-rapidité etc. et attendent qu’on leur en dise plus pour pouvoir comparer les options raisonnables et celles qui le seront moins».
A peine partie, la machine se grippe déjà…
L’Etat impose le socialiste Rémi Pauvros à la présidence de la société de Projet du canal Seine-Nord
Ça promet ! Une interview du 10 janvier du secrétaire d’État aux transports, Alain Vidalies, apprend aux lecteurs de la presse régionale, mais aussi aux élus locaux, cette nomination tout droit sortie des salons discrets de l’Elysée. Les réactions n’ont pas tardé (voir plus bas).
Rappelons que le député de Maubeuge Rémi Pauvros, en charge des transports au Conseil Régional de l’ancienne époque, avait été missionné par l’Elysée de l’ère Hollande afin de relancer le chantier figé par la décision de Nicolas Sarkozy, avant 2012, de financer le canal Seine-Nord (CSN) par un partenariat public privé particulièrement onéreux (après vérifications douloureuses… ), au point qu’il fallut à nouveau renvoyer ce serpent de mer d’où il venait, à savoir de l’imagination jamais en panne de quelques écologistes relayée par des politiques flairant le bon coup.
Bref, s’appuyant sur un lourd travail préliminaire effectué par l’ex-ministre socialiste de Boulogne-sur-Mer, M.Cuvillier, Rémi Pauvros bâtit un projet à 2 vitesses, prévoyant même 19 lots optionnels ce qui était à la limite de la mauvaise plaisanterie, mais à cette époque on ne savait pas encore si l’UE allait participer à hauteur de 42% au projet chiffré très bas, 4,7 MdS € alors que tous les gens sérieux et expérimentés parlaient de 10 milliards minimum. En revanche, d’après nos informations de source consulaire, on découvrit plus tard que la seconde mouture du projet Pauvros, l’officielle, avait omis d’inclure et donc de chiffrer, la première phase, celle qui démarre en 2017 en Picardie sud, la phase environnementale rendue obligatoire et en tête de gondole par la Loi. Donc, le nom de Rémi Pauvros ne rassemble pas tout le monde. Cela dit, c’est lui et personne d’autre, et avec des moyens très réduits, qui a relancé le dossier, mission remplie quand-même ! Et il connaît le dossier, c’est le sien !
C’est politiquement maintenant que l’affaire se corse. Car depuis ce projet qui est 100% socialiste dans son esprit (faire des collectivités territoriales et d’un financement public les patrons du canal finançant même par tranches le projet mais surtout les plateformes multimodales du parcours, essentiellement en Valenciennois et Cambrésis et un peu plus au Nord bien sûr), est contesté à travers le nouveau président. Depuis, en effet, les régions NPDC et Picardie ont constitué la région des Hauts de France et la majorité a basculé du PS (partout sauf de justesse en Pas- de- Calais) aux Républicains…Sur va-infos nous avons à plusieurs reprises subodoré que tôt ou tard, ce montage de conseillers régionaux HdF et de conseillers départementaux issus de 4 Départements (Nord, PdC, Somme, Oise) auxquels on ajoutera l’Ile de France, frondeuse sur le CSN…ne tiendrait pas longtemps debout ne serait-ce qu’au fil des élections diverses d’ici 2023.
Xavier Bertrand, président des Hauts de France, le prouve avec vigueur dans les colonnes de notre confrère les Echos. Résumons. Il regrette que la nomination ait été découverte dans la presse, sympa pour les élus des HdF…Il déplore que la candidature de Jean-Louis Borloo à cette présidence n’ait pas été prise en considération. Le nouvel électricien de l’Afrique Noire ne s’est pourtant jamais publiquement vraiment branché sur le dossier, éludant les questions, bref montrant un certain désintérêt alors qu’il fut aux manettes des deux Grenelles de l’Environnement. Mais c’eut été une présidence plus consensuelle, moins brutalement politique effectivement.
Xavier Bertrand qui a pris à son compte la part de financement que l’Ile de France ne voulait pas bailler, portant le total (Ile de France + Hauts de France) à presque 400 M€, menace de facto de geler ce financement, craint d’ici les prochaines présidentielles de nouvelles mauvaises nouvelles, demande à l’Elysée 1) que le poste de président soit bénévole, 2) que l’Etat s’engage à ce qu’aucun travailleur détaché ne soit sur ce chantier et 3) que l’Etat contribue aux futures plateformes économiques le long du canal, sans avoir recours ni aux péages ni à l’impôt. Ce dernier point modifie complètement la donne car c’était aux seules collectivités territoriales à la faire, les VNF et l’Etat se chargeant de financer le canal lui-même.
Comme prévu, c’est donc du côté de la politique que ça commence à inquiéter, le projet Pauvros mettait forcément le vers dans la pomme… Et maintenant, « wait and see » comme disent nos amis les Anglais.
Patrick Urbain/ 2 ème volet du dossier CSN, prochain sujet CSN le 03 mars
En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/politique-societe/regions/0211685806819-canal-seine-nord-xavier-bertrand-courr ouce-de-lattitude-de-letat-2056648.php#2U3GKjGkQVW0Gem6.99