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Isabelle Pique « le Nord a la palme de l’administration rigide »

A la veille des Etats généraux de l’alimentation dans les territoires, notamment le mardi 26 septembre sur le Quesnoy dans la filière laitière, voici un état des lieux sur l’agriculture avec Isabelle Pique, agricultrice et représentante syndicale de la profession sur le Hainaut.

Isabelle Pique : « Les industriels n’ont pas le droit de ne pas être compétitif, nous oui… ! »

Agricultrice depuis 1997 au sein d’une exploitation familiale, Isabelle Pique exploite 80 vaches laitières, sans transformation de la matière première, sur la commune de Saint-Amand-les-Eaux. Au coeur des préoccupations économiques collectives, elle subit les fluctuations du prix du lait trop bas, et trop souvent.  » En ce moment, le lait remonte un peu. A cet instant, nous équilibrons le coût de production avec la vente, mais pas encore de bénéfices. Les industriels n’ont pas le droit de ne pas être compétitif, nous oui… En fait, l’agriculteur est une boule de flipper entre l’industriel et la grande distribution. De même, les coopératives ne jouent pas le jeu  » , explique -t-elle !

Pour autant, Isabelle Pique reconnaît des avancées notables avec la grande distribution sur le Valenciennois. « Nous avons un échange, et des actions concrètes afin d’améliorer notre activité », ajoute la représentante syndicale.

 « Si nous respections seulement les normes européennes, on réduirait de 30% les normes en France », Isabelle Pique

Ensuite, après une année 2016 trop pluvieuse, la saison 2017 a véhiculé sa sècheresse même si ce mois de septembre atténue un peu cet impact climat. Le problème numéro un est le fourrage. Sur ce point, Isabelle Pique est particulièrement amère face à la rigidité de l’administration d’Etat. Dans le viseur, la DDTM ( Délégation Départementale des Territoires et de la Mer) est pointée du doigt ! « Le Nord a la palme de l’administration rigide », assène Isabelle Pique.

Bien sûr, elle argumente concrètement ses propos. « Nous devons tout programmer 6 mois avant, et le déclarer à la DDTM. Pourtant, nous voyons arriver une sècheresse. Ainsi, 2 mois avant voire moins, nous pourrions planter autre chose pour assurer du fourrage pour les animaux et éviter cette pénurie. Là, on va consommer nos réserves voire acheter du fourrage à défaut… ».

Plus largement, la lourdeur de l’administration française exaspère l’agricultrice. « Je vous cite un exemple parmi tant d’autres. Lorsque nous avons plusieurs naissance en même temps, si vous inversez par erreur une bague pou un nouveau né, vous devez recommencer intégralement votre dossier administratif très lourd, attendre la réponse etc., alors qu’un simple coup de téléphone, voire mail avec photo, suffirait à régler le dossier de traçabilité ». Et plus spécifiquement, la DDTM du Nord, voire de l’Aisne, sont dans le collimateur « elles sont beaucoup plus rigides que les 3 autres départements des Hauts-de-France (Somme, Oise, Pas-de-Calais) »., ajoute-t-elle !

Et si vous élargissez encore la réflexion, le constat est terrible « si nous respections seulement les normes européennes, on réduirait de 30% les normes en France. Les services de l’Etat sont trop interventionnistes ». De plus, la réactivité à régulariser les primes de la PAC (Politique Agricole Commune) n’est pas au rendez-vous avec la DDTM. « En 2016, nous avons eu le solde de 2015. Et début 2018,, le solde de 2016. Certes, c’est 10 % de la somme totale, mais si cela représente 10 000 €, cela suffit à un agriculteur pour ne pas couler. En fait, on brasse beaucoup d’argent avec très peu de revenus à la fin », poursuit-elle. Le nombre de suicides dans la profession est un constat. « On ne vit plus quand on sait qu’un de nos agriculteurs voisins ne répond plus, qu’il est sur le point de faire une connerie ! », conclut-elle sur ce sujet douloureux.

Pour autant, elle n’oublie pas de mentionner la nouvelle écoute de la Sous-Préfecture. « Thierry Devimeux est beaucoup plus à l’écoute de nos problèmes. Cela fait du bien, Il remonte nos demandes, mais lui aussi constate la difficulté de dialogue avec la DDTM ». De la même manière, un nouveau rapport « est instauré avec la région des Hauts-de-France. On parle mieux, on peut exprimer nos soucis auprès de Xavier Bertrand », ajoute-t-elle.

« L’agriculteur travaille au quotidien au rythme de la nature», Isabelle Pique.

Le métier d’agriculteur est au coeur de l’environnement jour après jour. «Il est nécessaire de pratiquer l’agriculture raisonnée. L’Etat doit prendre en compte que l’agriculteur travaille au quotidien au rythme de la nature, et surtout arrêter d’opposer le Bio et le reste des exploitants », indique Isabelle Pique.

Les mesures environnementales de protection face aux risques d’inondations s’amplifient. Parfois à juste titre, car les fossés en béton ont trop remplacé les espaces naturels en capacité d’absorber les eaux pluviales. De fait, un retour en arrière est inéluctable. Pour autant, l’impossible n’est pas miraculeusement devenu possible ! Là encore, les directives nationales doivent coller au paysage local. « Pour être éligible aux subventions, on nous demande d’ajouter 200 mètres de haies. Dans mon cas, je réduirai de moitié mon terrain. C’est possible sur d’autres territoires avec des exploitations plus importantes, mais pas dans le Valenciennois. Si la DDTM prenait le temps de venir remplir notre dossier sur notre site. Tout le monde gagnerait du temps, et la DDTM constaterait ce qui est possible ou pas », ajoute-t-elle.

Les acteurs de l’environnement sont nombreux, les collectivités locales, territoriales, les syndicats de déchets, mais aussi le monde agricole. « Nous savons mutualiser. On sait utiliser ce mot. Nous sommes très réactifs et on s’adapte. D’ailleurs, certains agriculteurs collaborent avec des collectivités locales pour fournir les cantines scolaires, voire le département pour les collèges », précise-t-elle. Le fameux circuit-court tant mis en avant par toute la sphère environnementale.

Retraite et le bien-être animal

Deux sujets tiennent aussi à coeur Isabelle Pique. La caisse de retraite de la filière agricole est la MSA. « Le statut de conjoint collaborateur est encore mal défini. Après plus de 40 ans d’activité comme conjoint collaborateur, un membre de ma famille perçoit 450 € de retraite… ! Pour l’agriculteur (principal), la retraite maximale est de 1 000 €. Et bien sûr, c’est 12 heures par jour minimum etc. D’ailleurs, pourquoi nous n’aurions pas droit au régime d’indemnisation du chômage comme un salarié », commente-elle ! La résultante est claire, vous avez de moins en moins de jeunes qui souhaitent embrasser cette profession. Pour autant « je suis fière de mon métier, et je choisirai la même profession si c’était à refaire ».

Ensuite, le bien-être animal est une préoccupation majeure pour Isabelle Pique : « Quand je vois les images dans les abattoirs constatant une maltraitance animale. Je suis ulcérée, il faut les sanctionner. Pour autant, cela reste l’exception, il ne faut pas banaliser cette image négative des agriculteurs..Je fais tuer mes animaux (si nécessaire) dans les abattoirs de proximité, et je veille à ce qu’ils n’attendent pas 3 jours dans un camion. C’est toujours un déchirement ».

Cette profession attend beaucoup de ces Etats généraux de l’alimentation. Les décisions prises à la suite de cette réflexion collective doivent être à la hauteur du Grenelle de l’Environnement en son temps… à minima, car les agriculteurs sont à bout de souffle, au bout de leur vie !

Daniel Carlier

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