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Dimitri Poltoratskyi (étudiant Ukrainien en France) : « Nous les aurons à l’usure ! »

Un mois est passé comme un ouragan depuis l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe, quatre semaines, mais surtout une guerre depuis 2014. Dimitri Poltoratskyi est un étudiant sur l’Université Polytechnique Hauts-de-France, mais il est en contact journalier avec l’Ukraine, car son frère est mobilisé. Ce jeune Ukrainien nous livre sa vision de ce conflit, sa détermination, ses certitudes, ses critiques, ses peurs, son espoir, et un regard très affuté sur cette guerre en Europe.

Dimitri Poltoratskyi : « Ne venez pas vous faire tuer pour 50 euros par jour »

Dimitri Poltoratskyi est âgé de 20 ans, il fait partie d’une fratrie de trois enfants, un frère et une soeur. Dans un français remarquable, il retrace sa tranche de vie : « Nous avons perdu nos deux parents quand j’avais 5 ans, mon frère 4 ans, et ma soeur 3 ans. Nous avons donc été placés dans une famille d’accueil ukrainienne ».

Suite à la catastrophe de la centrale nucléaire de Tchernobyl, des associations ont vu le jour afin de permettre un accès aux soins pour les enfants ukrainiens en Europe de l’ouest, contamination radioactive… Dans le cadre d’une visite associative en France sur l’établissement de santé de Berck, et son fameux sanatorium, Dimitri a rencontré son futur père d’accueil en France.

Entre-temps, en Ukraine, la guerre débute en 2014 au Donbass, car « la révolution de Maidan en 2014 a jeté un froid entre la politique pro-russe du pouvoir et le peuple ukrainien. Le peuple Ukrainien est profondément contre la Russie », explique-t-il. La réalité de terrain est que cette guerre au long cours a mobilisé tout un peuple. « j’ai plusieurs amis dont le choix fut de se lancer dans une carrière militaire dès 2014. L’un d’entre eux est aujourd’hui conducteur de char dans l’armée ukrainienne », indique Dimitri.

Il poursuit sur son chemin singulier : « Nous habitions la ville de Zytomyr, à 200 km à l’ouest de Kiev. C’est une ville avec une dizaine de garnisons militaires. Il y a notamment la 95ème, le régiment le plus performant de l’armée ukrainienne. Par contre, dans le Donbass, il y a très peu de forces militaires installées, ce sont donc des forces armées d’autres régions de l’Ukraine qui sont venus se battre dans le Donbass contre les milices Wagner notamment (dont Vladimir Poutine a toujours nié le lien avec la Russie). Evidemment, dans ma ville, il y a eu énormément de mouvements militaires. Oui, les Ukrainiens étaient déjà effrayés depuis 2014. Après, cela s’est calmé un peu, mais franchement je ne croyais pas possible une invasion compte tenu des sanctions économiques potentielles contre la Russie  », explique-t-il… Il ne fut pas le seul, loin s’en faut, à commettre cette erreur !

« Mon frère est mobilisé », Dimitri Poltoratskyi

Pour sa part, suite à une proposition de son père d’accueil en France, un ex cadre de Sos Villages d’enfants, Dimitri a quitté son pays natal en 2017. Il a avalé son collège en sautant plusieurs classes et suivi son lycée au sein de l’établissement Saint-Michel à Solesmes. Aujourd’hui, il est en 1ère année de Génie Mécanique au sein de l’IUT de Valenciennes sur le site de l’UPHF. Il tient à préciser « la procédure a mis trois ans, mais mes papiers sont en règles ».

Concernant ses attaches en Ukraine, la situation est un tiraillement. « Ma soeur a pu évacuer avec notre famille d’accueil ukrainienne en Hongrie, mais mon frère âgé de 19 ans est mobilisé. Il effectue les missions que les forces armées demandent. Tous les adultes mobilisés ne sont pas des combattants, mais ils participent à l’effort de guerre. Je suis en contact tous les jours avec lui. J’ai des informations de sa part, des militaires, des gens qu’ils côtoient au quotidien », commente-t-il.

Sur cette ville militaire, il explique « que les casernes ont reçu des missiles russes, mais plusieurs sites militaires de Zytomyr ont été également sabotés par des infiltrés ».

« Sur le terrain, on pense que ce conflit est parti pour deux ans », Dimitri Poltoratskyi

Ensuite, la partie la plus éclairante est sa vision sur la durée : « Le plus dur est de vivre dans la peur. Maintenant, c’est la nature humaine qui reprend le dessus, des missiles ici et là, on s’habitue, les morts compris. Sur le terrain, on pense que ce conflit est parti pour deux ans, mais nous les aurons à l’usure. Vladimir Poutine a sous-estimé la détermination des Ukrainiens à défendre leur pays. Nous sommes un peuple frère à la population russe, et les soldats russes connaissent notre détermination, comme s’ils devaient défendre la Russie », ajoute-t-il. Il n’hésite pas à lancer un message aux soldats « ne venez pas vous faire tuer pour 50 euros par jour (énorme pour la Russie) ».

D’ailleurs, il pointe du doigt le raté de l’armée russe durant ce début de guerre. « Des soldats conscrits en première ligne, une très mauvaise communication, des généraux inexpérimentés, on voit visiblement que Vladimir Poutine n’a pas engagé assez de forces armées pour envahir l’Ukraine et surtout avec des soldats de premier rang de ce type », tance Dimitri.

Par contre, un sujet de crainte véritable se profile avec les forces Théchènes. Autant, il ne croît pas du tout à l’arrivée des Syriens en Ukraine, mais les Théchènes de Kadirov, c’est une autre musique. « Oui, c’est un pays en guerre permanente, ils sont suréquipés, surentrainés, l’issue de cette guerre peu dépendre de l’implication de ces unités militaires ».

« La menace nucléaire est surjouée en Occident », Dimitri Poltoratskyi

Les différentes petites phrases contenant le mot nucléaire ont jeté l’effroi dans le monde occidental, le scénario du pire a sidéré les chaînes d’informations en continu. « La menace nucléaire est surjouée en Occident. Je ne crois pas du tout à l’exécution de cette menace », commente-t-il.

Par contre, il tacle le comportement de l’occident suite à l’annexion de la Crimée. « Là, les occidentaux bougent, car ils ont peur, mais personne n’a bougé lorsque la Russie a envahi la Crimée. C’est un territoire magnifique au bord de la Mer Noire. Néanmoins, les Russes ont pu construire leur pont sans problèmes (entre la Russie et la Crimée). Officiellement, la Crimée est ukrainienne et officieusement elle est russe. L’annexion de la Crimée, quelle hypocrisie ! », commente Dimitri. Ensuite, sur la terrible ville dévastée de Mariupol où les Théchènes sont parties prenantes, il souligne l’importance de cette commune « c’est un mur dans le Donbass contre les Russes ».

Oui, à l’heure où des experts pléthoriques calculent la balance du possible pour une négociation acceptable, jouant avec les territoires ukrainiens comme la Crimée, voire le Donbass, comme avec des pions, les Ukrainiens ne voient pas forcément d’un même regard l’envahisseur russe et ses droits présumés sur leur pays. « L’Ukraine restera l’Ukraine ! », claque le jeune homme.

« Une adhésion de l’Ukraine à l’union européenne aboutirait à un boom économique », Dimitri Poltoratskyi

Pour conclure sur une note positive, si cela est possible, Dimitri est convaincu que le processus d’adhésion à l’union européenne, certes très long, sera positif pour son pays. « Il y a un potentiel énorme en Ukraine. Je suis certain qu’une adhésion de l’Ukraine à l’union européenne aboutirait à un boom économique. D’ailleurs, je veux travailler en France, mais avec l’Ukraine d’une manière ou d’une autre », poursuit-il.

A son niveau, il n’oublie pas sa solidarité, outre le contact avec sa famille, avec le peuple Ukrainien. « Je me suis porté volontaire pour devenir interprète d’une association amenant des enfants malades en France. J’attends ma première mission, mais elle sera située dans les villes avec un Centre Hospitalier Régional », conclut  Dimitri Poltoratskyi.

Seulement 20 ans, mais pétri d’une détermination sans faille, consumé de certitudes gravées dans l’amour de son pays, d’une conviction sur l’issue de cette guerre où Vladimir Poutine va se heurter à un peuple sur le temps long. Tout ceci dessine l’ambition d’un jeune ukrainien expatrié en France, car il ne doute pas ! Cet aspect tranche véritablement avec les expertises incessantes sur le devenir quotidien de cette guerre. L’impatience de l’occident est en conflit frontal avec les aspirations du peuple ukrainien, quitte à brader pour se rassurer des territoires, des villes, des villages, des hommes et des femmes avec un coeur ukrainien, mais pas russe… !

Daniel Carlier

 

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