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(Rediff)Violences conjugales, la peur d’une vie sans coup

Depuis plusieurs années, l’association « Nous Toutes » organise une manifestation délocalisée par région, et territoire, contre les violences sexuelles et sexistes. Le Covid-19 va compliquer cet événement ô combien sensible. A cette occasion, nous rediffusons un colloque organisé par le Parquet de Valenciennes en septembre 2018. La violence conjugale n’est pas née durant ce XXIème siècle. Par contre, cet appel à l’aide est devenu (enfin) audible par une société historiquement trop soucieuse de ne pas franchir la porte de l’intimité, l’excuse séculaire pour ne pas entendre la douleur, la souffrance… d’une personne saoulée de coups et d’humiliations verbales.

Violences intrafamiliales

Durant une journée, un éventail large des thématiques liées à la violence conjugale a été abordé à travers des interventions de qualité. L’introduction de ce colloque par Marie-Suzanne Le Queau, Procureure Générale de la Cour d’Appel de Douai, et Guy De Francleu, 1er Président de la Cour d’Appel de Douai, a donné la mesure de ce colloque sur un sujet de société ô combien discret dans les chaumières.

Maître Betty Rygieski, avocate au barreau de Valenciennes, introduit l’après-midi ce colloque par un constat « notre région est sinistrée en matière de violences conjugales. On ne naît pas victime, on le devient ».

Les acteurs de justice, les forces de l’ordre, les gouvernements successifs, prennent à bras le corps ce fléau endémique depuis quelques années. C’est dans cet esprit de partage que le Procureur de la République de Valenciennes, Philippe Vicentini, est venu à la rencontre des élus des intercommunalités afin de partager des réflexions sur ce sujet très prégnant dans le Valenciennois, chiffres à l’appui. « Isabelle Choain, et moi même, sommes les référentes sur ce sujet (pour la CAVM) suite à la venue du Procureur de La République », souligne Elizabeth Gondy.

Cette initiative s’est donc traduite par un colloque réservé aux professionnels intitulé « La lutte contre les violences conjugales : Mieux comprendre pour mieux agir ». Force de la Gendarmerie, de la Police Nationale, enquêteurs, associations dédiées, élus, près de 200 professionnels sont venus assister à cette journée très instructive.

Beaucoup d’items ont été abordés avec une véritable pédagogie, voire des découvertes comme tout ce qui touche à la dissociation de la personnalité chez la victime. Quelques chiffres pour positionner le sujet, car l’immense majorité des délits n’est pas connue. On estime de 18% à 20% le nombre de victimes déclarant subir des violences familiales. Le plus cruel est que cette donnée constitue un progrès significatif en la matière, ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, nous étions proches du degré zéro au XXème siècle comme si la dénonciation d’une violence conjugale était une maladie honteuse !

La mémoire psychotraumatique

La présence de Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association « Mémoire psychotraumatique » fut particulièrement édifiante en la matière.

L’impact des violences intrafamiliales sur la santé physique et mentale est très mal évaluée, voire insoupçonnée. « Vous avez en moyenne une perte de 30% des capacités en terme neurologique. La  violence, le stress permanent, peuvent se traduire également pour une victime par un suicide, une addiction, des troubles de santé très divers, l’impact sur la santé (au sens large) est majeur. Vous avez également des troubles du comportement comme la conduite à risque », souligne la psychiatre.

Pour les victimes enfants, l’aspect psychologique est également ravageur pour la suite de leur vie. «  Une jeune fille victime de violence a 16 fois plus de chances de devenir une victime adulte ; un jeune garçon victime de violence aura 14 fois plus de chances de se transformer (adulte) en agresseur  » , explique Muriel Salmona.

La cause avance petit à petit sur certaines thématiques « nous sommes au 5ème Plan de lutte contre la violence contre les femmes, mais en 2017, ce fut le 1er contre la violence faite aux enfants », ajoute la psychologue. Bien évidemment, l’enfant spectateur privilégié de violences contre sa mère est cruellement exposé avec des séquelles psychologiques majeures. Tout cela doit de facto se mesurer, s’évaluer autant que faire se peut par les professionnels.

« La dissociation traumatique est une stratégie de survie », Muriel Salmona

Qui n’a pas entendu un commentaire cinglant à la volée sur l’attitude d’une victime de violences conjugales. « Pourquoi demeure-t-elle dans le silence ? »… « Pourquoi lui trouve-t-elle des excuses ? »… « Pourquoi ne quitte-t-elle pas le domicile conjugal ? »… « Pourquoi ne pas engager une procédure en justice ? »… » Pourquoi reste-t-elle avec son bourreau ? » le mot « pourquoi » pointe trop facilement un doigt inquisiteur, réprobateur face à cette apathie virtuelle. Une terrible injustice que Muriel Salmona a voulu battre en brèche.

« La victime à répétition est comme anesthésiée. C’est pourquoi la dissociation traumatique est une stratégie de survie, c’est la seule méthode pour survivre à une souffrance. C’est le phénomène de l’anesthésie émotionnelle. La violence de l’autre est une prise de pouvoir. L’esprit de la victime est colonisé par l’agresseur », commente Muriel Salmona.

Par voie de conséquence, le premier accueil du professionnel, forces de l’ordre, associations, professionnels du droit etc. revêt une importance majeure pour la suite. La victime adulte ou enfant doit trouver une oreille, une compréhension de la souffrance, parfois extrêmement compliquée dans son rouage, dans l’expression orale, comprendre un silence, « un rire sardonique », pointe la psychiatre.

L’accompagnement des victimes est devenu une démarche indispensable afin de sauver des victimes de violences familiales. La stratégie est construite « l’agresseur séduit et  isole socialement sa victime, et qu’il faut donc rompre l’isolement de celle-ci (notamment grâce à la prise en charge par les associations d’aide aux victimes), refuser l’inversion de culpabilité (car souvent l’agresseur rend la victime responsable des violences), et redonner confiance à la victime car  les violences psychologiques (dénigrement, phrases assassines…) « percent la citerne de l’estime de soi » (expression de Madame Marie-France CASALIS, porte-parole de l’association collectif féministe contre le viol) », explique Alexia Garnaud, substitut du procureur de Valenciennes. A cet effet, un numéro de téléphone « Grave Danger »  est en place. C’est un dispositif de téléprotection des personnes en grave danger qui consiste à assurer l’effectivité de la protection des personnes particulièrement vulnérables et en grave danger, victimes de viol ou de violences conjugales. Un nombre significatif de téléphones est à disposition des personnes vulnérables sur le Valenciennois.

Pour cesser cette violence du quotidien, des mesures drastiques sont nécessaires comme « l’éviction du conjoint violent », ajoute la substitut. Effectivement, cette donnée est le rouage moteur de la réussite, car à l’inverse comme nous l’avons vu ci-dessus, l’agresseur peut reprendre le contrôle, et la victime de nouveau anesthésié poursuivre le fil de sa vie fracassée… ! Le cap de la peur d’une nouvelle vie sans coup, sans stress, constitue un obstacle terrible pour le premier recours, car ils sont porteurs d’un message d’espoir afin de ne pas revenir comme dernier secours. Celui d’une vie possible hors de ces 4 murs témoins de violences physiques et verbales, la tache est immense pour cette main tendue à la victime. De fait, la cohésion entre tous ces professionnels présents à cette manifestation est indispensable.

Pour sa part, Hervé Delplanque, avocat au barreau de Valenciennes, souligne l’exception territoriale dans le Valenciennois : « Un avocat est de permanence 7j/7, 24h/24, 365 jours par an afin de venir en aide aux victimes de violences conjugales. C’est un outil performant, et presque inédit en France ».

Conscient que tous ces professionnels ne sont pas des psychologues de métier, l’avocat sait qu’il doit maîtriser « une approche en finesse. Cette relation entre l’avocat et la victime doit reposer sur 3 piliers, la sécurité, la confiance, et la confidentialité, la victime peut tout dire à son avocat ».

Ensuite, le partenaire incontournable sur le Valenciennois de cet accompagnement est l’association l’AJAR. « Nous disposons d’hébergements d’urgence pour les victimes de violences conjugales, un psychologue fait également partie de notre service apporté aux victimes. Enfin, notre partenariat avec le barreau de Valenciennes est très important, la victime bénéficie d’un avocat », déclare Aurélie Fartek, responsable du service d’aide aux victimes de l’AJAR.

Couper le cordon de la violence

Ce colloque participe évidemment à une meilleure compréhension, par tous les professionnels concernés, de toutes les arcanes psychologiques des victimes de violences intrafamiliales. Très complémentaire, la médiatisation au niveau national, en l’occurrence locale, est également indispensable sur un territoire dont les chiffres sont affligeants en la matière.

Comme si notre société avait enfin compris le sens du tableau  « Le Cri »  de l’artiste Edouard Munch, rien n’est de trop, rien n’est en trop, rien n’arrive trop tôt ! « La violence, sous quelque forme qu’elle se manifeste, est un échec », disait Jean-Paul Sartre, l’information vers une victime potentielle peut donc lui permettre de mieux comprendre son vécu, ce besoin impérieux de sortir de cet étau de violence. Dans le même registre, la juste pédagogie vers le grand public peut renseigner une famille, des amis proches… d’une victime. Ainsi, ils peuvent déceler, repérer des signes de violences sur adultes, voire enfants, comprendre un comportement parfois renfermé, insaisissable, expliquer l’incompréhensible, et sortir du trou noir de la violence… en toute intimité !

Daniel Carlier

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