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(Rediff) L’information pénale pour un(e) élu(e) exemplaire !

Vendredi dernier, un colloque a réuni des élu(e)s, et des fonctionnaires, sur la thématique de leur responsabilité pénale, immense au quotidien. Dans ce cadre, trois locuteurs de qualité sont intervenus, Sophie Corioland, Maître de Conférences en Droit privé, François Perain, Procureur de la République de Valenciennes, et Maître Manuel De Abreu, avocat au barreau de Valenciennes

Organisée conjointement par Pascal Vanhelder, bâtonnier du barreau de Valenciennes, et Hervé Delplanque, président de Conseil d’administration de la Faculté de Droit, cette manifestation a permis de mettre à niveau les auditeurs présents à cette séance d’informations. Le sujet est complexe, vivant comme le Droit, et pèse chaque jour comme une épée de Damocles au dessus de la tête de chaque édile, adjoint, président voire vice-président !

L’impunité de l’élu n’est qu’une illusion que certains, en France métropolitaine et dans les Dom-Tom, pensent transmise directement du droit divin de l’ancien régime. En fait, c’est exactement le contraire, cette responsabilité immense implique une rigueur sans faille de l’élu de la république. Tour à tour, les intervenants ont balayé les causes de mise en responsabilité des élus, aspirine recommandée à la sortie !!!

Où est la frontière entre la réalité de terrain et la responsabilité pénale des élus ?

Tel est le chemin tenu, sur la ligne de crête dirait un montagnard, que chaque élu doit emprunter, respecter, mettre en adéquation avec sa population, les caractéristiques de sa commune, l’exercice est particulièrement difficile. Mais les élus ont-ils conscience de la chose ?

Sophie Corioland : «  La faute simple ne suffit plus pour engager la responsabilité de l’élu »

Le maître de conférence s’est attelée à décortiquer la responsabilité de la personne physique, l’élu en clair. En effet, dans le cadre d’une mise en responsabilité, la personne morale, la commune ou l’intercommunalité, peut être condamnée, tout comme l’élu personne physique.

Sophie Corioland
Sophie Corioland

«  Deux lois, de 1996 et 2000, ont classifié les différentes niveaux d’appréciation d’une mise en responsabilité pour faute non intentionnelle par les magistrats. Vous avez trois catégories, la faute d’imprudence simple, la faute d’imprudence lourde, et la faute d’imprudence qualifiée », explique-t-elle.

Dans l’hypothèse de la faute d’imprudence simple, il y a «  une distance entre l’élu et l’action. Par exemple, un non respect de la confidentialité de certaines bases de données informatique, la pollution de cours d’eaux suite à un événement naturel etc. » , précise Sophie Corioland. La célèbre et très médiatique affaire Xynthia, avec cette catastrophe naturelle et des victimes dont le logement était implanté en zone inondable, est une parfaite illustration d’une faute non intentionnelle d’un élu de la république.

Par contre, dans le cas d’une faute d’imprudence lourde «  il est établi qu’il y a une violation de la loi par l’élu, c’est le délit de risque causé à autrui. D’ailleurs, le dommage n’est pas nécessaire pour être condamné, la mise en danger suffit. Aujourd’hui, le droit pénal met en lumière l’infraction obstacle. Cette dernière ne sanctionne pas le résultat d’un acte dommageable, mais l’accomplissement d’actes préparatoires.! », ajoute Sophie Corioland.

Enfin, la faute d’imprudence qualifiée où l’action de l’élu a une causalité, même indirecte, sur le dommage, c’est la plus grave dans le domaine. Toutefois  « la jurisprudence indique que la faute simple ne suffit plus pour engager la responsabilité de l’élu », souligne le maître de conférence. En l’espèce, cette faute d’imprudence qualifiée pèse sur le chef d’entreprise, comme sur l’élu en permanence. Le noeud de la faute non intentionnelle, c’est la causalité, plus de distance il y a entre l’élu et l’action, moins il peut être mis en cause !

François Perain : « Les magistrats jugent in concreto, la justice est humaine ! »

En préambule à sa thématique d’intervention, le Procureur de la République a tenu a remettre les pendules à l’heure « le parquet n’est pas là pour se payer des élus. C’est faux, et d’ailleurs, les magistrats ont bien compris la difficulté de vos tâches ».

François Perain
François Perain

Néanmoins, en partance, François Perain revient globalement sur ses 4 années au Parquet de Valenciennes.  » J’ai rencontré plusieurs situations de prise illégale d’intérêts. A ce titre, j’ai envoyé un premier courrier aux intéressés à la suite desquels… on espère que le fait ne se reproduira pas. Malheureusement, il se reproduit, que fait-on ?« , interroge le Procureur  de la République.  A titre d’exemple, un Directeur Général des Services est présent pendant une délibération du Conseil municipal concernant une hausse de sa rémunération « c’est une prise illégale d’intérêts ! ». 

François Perain poursuit son propos sur le comportement nécessaire d’un(e) élu(e). Bien sûr, nous ne parlons pas du vote d’une petite subvention à une association dont un élu du Conseil municipal est membre, et de facto ne participerait pas au vote. Là, le propos du Procureur de la République cible les délibérations avec un impact significatif : « Pour une délibération pour laquelle un(e) élu(e) est partie prenante, je préfère tout simplement qu’il ne soit pas présent au Conseil municipal, qu’i l(ou elle) reste chez lui ». Donc, nous ne parlons pas de ne pas participer au vote, de sortir de l’hémicycle, mais de ne point marquer de sa présence physique, et de facto d’une potentielle influence, le résultat d’un vote structurant en faveur d’un organisme, d’une entreprise etc.

La thématique abordée par le Procureur de la République se concentre sur la faute non intentionnelle. Sans aucun doute, c’est celle qui hante le plus les élus, partant du postulat que l’immense majorité de ces derniers est honnête et de bonne foi.

Tout d’abord, il brosse le portrait du cadre général des décisions des magistrats confrontés à une faute non intentionnelle d’un élu. « C’est compliqué à juger. C’est pourquoi, un même fait peut connaitre deux jugements différents suivant les tribunaux, les magistrats jugent in concreto, la justice est humaine ! », précise François Perain.

Sur ce champ du droit, une loi a balisé la décision des magistrats. En effet, la loi Fauchon du 10 juillet 2000 fait une dichotomie claire entre la notion de responsabilité et celle de culpabilité. Simplement, il peut y avoir responsabilité, et donc dédommagement de la victime, sans pour autant que l’on reconnaisse sa culpabilité. Un précédent célèbre a déclenché cette prise de conscience du législateur, la fameuse affaire du sang contaminé. En effet, le 4 novembre 1991, Georgina Dufoix, ex-ministre des Affaires sociales, déclare sur TF1 : « Je me sens profondément responsable ; pour autant, je ne me sens pas coupable, parce que vraiment, à l’époque, on a pris des décisions dans un certain contexte, qui étaient pour nous des décisions qui nous paraissaient justes ». Bien sûr, le niveau sonore de ce dossier est hors norme, mais chaque élu est confronté à cette mise en responsabilité quotidienne.

«  Sur le Valenciennois, je n’ai eu à traiter qu’une affaire en 4 ans »… » L’élu a une obligation de prudence et de sécurité, mais c’est l’intensité de la faute qui est compliquée à juger.  « Les magistrats jugent in concreto, la justice est humaine ! Cette situation ne vous sécurise pas », indique le Procureur de la République s’adressant aux élus, et fonctionnaires dans l’assistance.

« Voici deux exemples de dossier pour lesquels j’ai eu à engager des poursuites. Dans l’Yonne, un loueur de canoë Kayak, alors qu’il était au courant d’une alerte orage, a laissé partir un groupe de personnes. Des participants, en situation de handicap, ont péri durant cette balade. J’ai requis contre ce professionnel qui ne pouvait ignorait le danger. Il a été relaxé, impact direct de la loi Fauchon au niveau pénal ».

«  Dans l’Allier, avant cette loi Fauchon, un accident de travail survient sur un chantier où des agents municipaux intervenaient. Manque de sécurité individuelle et collective, le chef de service en parfaite connaissance de ces insuffisances a été condamné., mais c ‘était avant cette loi Fauchon…».

Au niveau de la faute non intentionnelle, la Cour de Cassation a posé la nécessaire « connaissance du risque » pour envisager toute condamnation en la matière.

Maître De Abreu : « La relation morale ou matérielle peut engendrer une prise illégale d’intérêts »

Pour sa part, l’avocat bien connu du barreau de Valenciennes s’attaque aux infractions intentionnelles par un élu de la république. Concussion, corruption, prise illégale d’intérêts, détournement de fonds et de biens publics, délit de favoritisme… la pléiade de Las Cases des chroniques judiciaires relatives aux tribulations de certains élus peu scrupuleux.

Maître De Abreu
Maître De Abreu

Entre 2001 et 2008,  il y a eu 107 dossiers répertoriés, mais 185 de 2008 à 2014,, soit 72% de hausse de mise en cause. Certes, ces chiffres ne donnent pas le vertige considérant que vous avez 536 000 élus dans les 36 000 communes de France, 2 000 conseillers départementaux, et 2 000 conseillers régionaux, sauf « que 41 % sont des dossiers pour atteinte à la probité, 17% en diffamation et dénonciation calomnieuse… En fait, les magistrats ont un arsenal répressif à leur disposition extrêmement sévère », commente Maitre De Abreu.

Dans le domaine de la faute intentionnelle, la loi de décembre 2013 a aggravé lourdement les sanctions financières, en matière de corruption etc. Les sanctions sont doublées voire peuvent atteindre le double du bénéfice retiré, c’est l’inflation des amendes. De plus, le législateur a doublé le délai de prescription pour les différents délits intentionnels.

La prise illégale d’intérêts, sans pour autant enrichissement personnel, est le délit intentionnel le plus courant. Toutefois, il faut distinguer l’élément matériel et moral. « Si vous avez échoué sur le fond en appel, vous n’avez aucun espoir en cour de cassation. La jurisprudence est de plus en plus exigeante. En novembre 2003, le fait de ne pas voter une délibération pour un élu dans laquelle il est concerné (subventions associations etc.) ne suffit plus, en 2007, le fait de sortir pendant cette délibération n’est plus suffisant, et en 2008, le rendu du tribunal précise que l’élu ne doit même plus assister au Conseil municipal s’il est concerné par une délibération (majeure dans l’esprit de la loi). Enfin, la cour de cassation, très attachée aux éléments matériels, indique dans un arrêt du 29 juin 2011 que la simple relation professionnelle suffit à générer une présomption irréfragable d’imprudence, suffisant pour un délit intentionnel de prise illégal d’intérêts », déroule Maître De Abreu.

L’autre high light des prétoires est le délit de favoritisme commis par un élu dans le cadre de l’attribution de marchés publics. « La jurisprudence indique clairement qu’il ne suffit pas de réparer un marché public mal construit, vous pouvez être condamné même si vous avez tout repris à zéro, et dans les règles. En clair, je ne saurais que trop vous recommander une rigueur absolue dès l’origine d’un marché public », explique MaÎtre De Abreu.

Toujours plus loin dans la démarche « la jurisprudence précise que la relation morale ou matérielle peut engendrer une prise illégale d’intérêts. De plus, l’intérêt peut être quelconque !  C’est l’insécurité juridique absolue», ajoute l’avocat. Le champ de l’infraction est de fait extrêmement vaste.

A titre d’exemple, c’est le grand classique du permis de construire, et plus encore des PLU (Plan Locaux d’Urbanisme) transformés en PLUIntercommunaux depuis la loi NOTRE. En effet, le fin du fin est « qu’un acte peut potentiellement être inattaquable sur le volet administratif et pénalement répréhensible », poursuit Maître De Abreu.

Pour une pointe d’humour dans le domaine, le maire de Tignes (Haute Savoie) a été condamné en 2014 pour l’acquisition d’un terrain en amont, dont la destination finale fut modifiée par le même premier magistrat, super plus-value à la revente, trop discret l’artiste ! On n’est jamais mieux servi que par soi-même !

Pour précision si besoin en était, le DGS, comme le directeur de cabinet, sont responsables pénalement face à l’application d’une décision inappropriée de leur premier magistrat.. « Il a même le devoir de le dénoncer, en vertu de l’article 40 du code pénal », souligne Maître De Abreu… « c’est le principe des baïonnettes intelligentes », conclut François Perain, toujours utile de rappeler une évidence… !

A la fin de ce colloque, une petite phrase est lâchée… «j’ai préparé des formulaires de démission à la sortie de l’auditorium », lançait de manière humoristique Pascal Vanhelder… 

Daniel Carlier

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